L’œil de l’arbitre (saison 2024, ép. 2)

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Si on voulait parler d’une équipe qui a eu de bons moments, de très mauvais moments et qui par moments s’accrochait par la peau des dents, on pourrait penser au Fire de Chicago en première demie lors du match face au CF Montréal. Ou au CF Montréal en deuxième. Ou au corps arbitral, encore composé d’arbitres de remplacement vu le lock-out qui perdure. Retour sur quatre incidents clé.

Le deuxième penalty (11e minute)

À ma grande surprise, cette faute n’a pas soulevé les passions, même dans la folie après la fin du match. Résumons : sur une passe dans la surface d’Alvarez, Salquist agrippe Coccaro par l’épaule et le projette au sol. L’arbitre lui décerne un carton jaune. Mais y avait-il de quoi expulser Salquist? Pour rappel, on peut retourner à l’analyse de l’expulsion de Camacho l’an dernier. On rappelle : un joueur qui anéantit une occasion de but manifeste (avec une faute donnant un penalty) sans tenter de jouer le ballon doit être expulsé.

Première question : y a-t-il une occasion de but manifeste? Pour ce faire, l’arbitre doit considérer quatre critères :

  1. La direction générale du jeu : Coccaro file vers le but.
  2. La distance entre la faute et le but : Coccaro est près (mais assez loin pour pouvoir manœuvrer) du but.
  3. Le contrôle du ballon et la probabilité de l’obtenir/le conserver : il n’a peut-être pas contrôle du ballon, mais le ballon est droit devant lui et assez facile à contrôler.
  4. La position et le nombre des défenseurs, au moment précis de la faute. Voyons sur l’image : à mon avis, il n’y a personne en bonne position d’intervenir (sauf le fautif).

Il y a donc, à mon avis, une occasion de but manifeste. On passe à la deuxième question : Salquist tente-t-il de jouer le ballon? Évidemment, on ne joue pas le ballon en tenant un joueur avec ses bras. Il y a donc, selon moi, lieu d’expulser Salquist pour avoir anéanti une occasion de but manifeste. On pousse plus loin : selon moi, ces quatre critères sont suffisamment clairs pour considérer qu’une erreur claire et évidente a été commise, ce qui aurait dû causer une intervention de la VAR.[1] Oui, les arbitres tentent de garder tout le monde sur le terrain autant que possible. Lorsque la situation le mérite, par contre, il faut sévir.

Main de Brady (35e minute)

Cette action en est une où les questions de fait et d’interprétation sont cruciales, l’une comme l’autre. Si Brady commet une faute en touchant le ballon délibérément de la main hors de sa surface, on parle évidemment d’un carton rouge pour avoir anéanti une occasion de but manifeste. Que dit la loi 12, donc :

« Il y a faute si un joueur :

  • touche délibérément le ballon du bras ou de la main, par exemple avec mouvement du bras ou de la main vers le ballon ;
  • touche le ballon du bras ou de la main : en ayant artificiellement augmenté la surface couverte par son corps. Il est considéré qu’un joueur a artificiellement augmenté la surface couverte par son corps lorsque la position de son bras ou de sa main n’est pas une conséquence du mouvement de son corps dans cette situation spécifique ou n’est pas justifiable par un tel mouvement. En ayant son bras ou sa main dans une telle position, le joueur prend le risque de toucher le ballon avec ces parties du corps et ainsi d’être sanctionné »

Qui plus est, les questions d’interprétation des lois spécifient qu’un ballon ricoche vers la main après avoir touché une autre partie du corps ne sera pas pénalisée si la main n’augmente pas artificiellement la surface du corps. Par exemple, dans les trois cas présentés ici (tirés du Referee Assistance Programme 2023:2), l’UEFA considère qu’il n’y a pas de faute, le ballon ayant dévié sur une autre partie du corps au préalable.

Donc, d’abord, malgré l’absence de reprises, au ralenti il semble bien que le ballon touche d’abord la jambe de Brady, puis sa main. La position de la main, donc, est-elle naturelle selon ce mouvement spécifique? Selon moi, il semble que la main de Brady est derrière son corps, dans une position effectivement naturelle et qui n’augmente pas la surface du corps. Le fait que le ballon ricoche sur sa jambe, puis le sol, puis son bras suggère effectivement que le contact à la main n’est pas attribuable à une augmentation de la surface du corps. Pas de faute, donc.

Hors-jeu (45+8)

Tranche de vie. Dans mon travail, je suis chercheur en relations internationales, menant des recherches sur l’emploi de drones armés; je passe mon temps à débattre des perspectives visuelles des drones, des problèmes de fiabilité des images vidéo et de comment des perspectives trompeuses peuvent mener à des conclusions erronées. Ce n’est donc pas de gaité de cœur que je me retrouve à reprendre les mêmes arguments pour expliquer qu’une image d’un mauvais angle ne permet pas d’affirmer qu’il y avait hors-jeu.

C’est très bien établi, par une pléthore d’études : l’alignement avec la ligne de hors-jeu,  face au terrain est absolument crucial pour bien évaluer le hors-jeu. Par exemple, on recommande aux arbitres assistants autant que possible de se tenir face au terrain, en pas chassés, pour éviter le très léger angle qui résulte lorsqu’on regarde par-dessus son épaule. Un simple mètre de décalage peut fausser une décision :

Figure 1: Baldo et al., « Flag errors in soccer games: the flash-lag effect brought to real life », Perception 2022.

Et ici, le seul angle offert est non seulement très décalé, il est aussi surélévé, et il y a en plus une incertitude sur le moment précis du point de contact. On ne peut absolument pas tirer quelconque conclusion de cette image, surtout pour comparer la position d’une épaule et d’un pied. C’est carrément impossible à juger. On a visiblement oublié le match final de 2021, où le CF Montréal et la communauté au complet s’étaient insurgés d’un hors-jeu sifflé contre Romell Quioto, Wilfried Nancy était sorti de ses gonds et avait parlé de « scandale », et au final, Quioto était hors-jeu…de près d’un demi-mètre. Non, la vidéo ne révèle pas tout.

Raheem Edwards (82e)

La défense du CF Montréal se maintenait tout juste à flot lorsque Raheem Edwards, se transformant en pirate des aventures d’Astérix, a décidé de flanquer un bon coup de hache coude dans la coque du navire. Carton rouge, fluctuat, et mergitur.

Mais ce coup constituait-il un acte de brutalité? Voyons la Loi 12 :

« Un joueur se rend coupable d’un acte de brutalité s’il agit ou essaie d’agir avec violence ou brutalité envers un adversaire alors qu’ils ne disputent pas le ballon, ou envers un coéquipier, un officiel d’équipe, un arbitre, un spectateur ou toute autre personne, qu’il y ait eu contact ou non. »

Le terme anglais – violent conduct – rend encore plus clairement le point clé : on juge un comportement comme tel, pas ses conséquences, ni sa sévérité. Contrairement à une faute commise dans le cadre d’une action de jeu, un acte de brutalité ne dépend pas d’un certain niveau de force (à moins qu’elle soit « négligeable ») et une tentative d’action violente constitue un acte de brutalité. Du moment que l’arbitre assistant voit Edwards balancer son coude avec une certaine force, clairement avec intention, la cause est entendue. Qu’il y ait eu une petite poussée (somme toute commune) avant ne change rien, le geste en soi est sanctionnable. On s’explique mal que cela ait pris 20 secondes pour alerter l’arbitre (ont-ils appliqué le même délai que sur un hors-jeu contesté? Pourquoi?), mais la décision laisse peu de doute.

            Un petit mot sur la reprise du jeu : la reprise du jeu dépend du type de faute. Une faute avec contact (comme « frappe ou essaie de frapper un adversaire ») commise lorsque le ballon est en jeu vaut toujours un coup franc direct à l’endroit de la faute, que le ballon soit à distance de jeu ou pas. Rien à voir avec un coup franc indirect, une balle à terre ou n’importe quoi d’autre. Penalty.

Donc, dans l’ensemble, deux penaltys bien appelés, un carton rouge bien décerné (et bien vu par l’arbitre assistant), une situation de main bien jugée, un bon match des arbitres, donc? Eh bien…non. Comme on aurait pu s’attendre vu leur inexpérience, on a vu des lacunes claires en gestion de match, des manques de concentration. Entre des touches/corners clairs attribués à la mauvaise équipe (notamment à la 14e), des cartons clairs non décernés (16e), la gestion de match a fait défaut. Tous les arbitres commettent des erreurs; ce qui importe, par contre, c’est la fréquence des erreurs, et leur source. Les meilleurs arbitres en font moins et évitent généralement les bêtes erreurs techniques. Vivement le retour des arbitres professionnels, le jeu en a besoin.

Ah, le temps ajouté, dites-vous? Voici mes calculs.

1re mi-temps :

CauseMinuteTemps perdu
Blessure, révision vidéo et penalty3e4:45
But8e1:00
2e penalty11e1:00
But12e1:00
Avertissement Coccaro16e1:00
Blessure Sunusi26e1:00
Blessure Sirois44e1:00
Carton Gasper45+41:15
But45+81:00

Total : 10:45 en temps régulier, 13 au total. L’arbitre a annoncé 10, joué 11:50.

2e mi-temps :

CauseMinuteTemps perdu
Changement double65e1:00
Changement68e0:40
But70e1:00
Changement75e0:40
Carton Herbers78e0:45
Expulsion et penalty82e2:30
But84e0:45
Check VAR et changement88e0:50
Perte de temps de Sirois89e0:40
But90+41:10
But et changement90+92:00

Total : 8:50 en temps régulier, 12 au total. L’arbitre a annoncé 9, joué 12:05.


[1] L’arbitre à la VAR, en passant, était Joe Fletcher, un cadre de PRO, ex-arbitre assistant, n’ayant jamais officié à ce rôle avant le lock-out.