Deuxième épisode de cette chronique sur l’arbitrage, et les arbitres de la Professional Referee Organisation – PRO – continuent de s’en sortir plutôt bien, tout particulièrement en ce qui concerne les matchs du CF Montréal. À part le latéral gauche montréalais qui au dernier match trouvait que ça joue mieux quand Iliadis joueurs sur le terrain (‘scusez-la!), c’est le calme plat entre les dix/onze montréalais et les sextuors d’officiels. Par conséquent, on retourne à un match que vous aurez (on l’espère) tout oublié et à l’expulsion de Rudy Camacho contre Vancouver. Pas tant pour expliquer la décision, Camacho ayant tout de même un certain talent pour se faire expulser de manière assez limpide, mais pour s’en servir pour expliquer la séquence décisionnelle de l’arbitre.
Pour expulser un joueur, l’arbitre doit identifier une de huit infractions énumérées à la Loi 12.3; ici, Camacho « […] annihile une occasion de but manifeste à un adversaire […] en commettant une faute passible d’un coup franc (sauf précision apportée à la section suivante) ». La précision en question, est qu’annihiler une occasion de but manifeste vaut une expulsion si :
- La faute a lieu hors de la surface de réparation ou n’est pas sanctionnée d’un penalty;
OU
- Le joueur ne tente pas de jouer le ballon en commettant cette faute.
Pour l’expulsion de Camacho, donc, l’arbitre n’a pas une mais quatre décisions successives à prendre en séquence :
- Y a-t-il faute?
- Cette faute annihile-t-elle une occasion de but manifeste? Si non, stoppe-t-elle une attaque prometteuse (une niveau de sanction moindre)?
- La faute est-elle à l’intérieur ou à l’extérieur de la surface de réparation?
- Camacho tente-t-il de jouer le ballon?
Le point clé, ici, c’est que chacune de ces décisions est indépendante des autres. Pour en arriver à l’expulsion, l’arbitre doit répondre à chacune de ces questions; toutefois, le champ d’options offertes à l’arbitre change selon les réponses à ces questions. De surcroît, chacun de ces quatre jugements peut être révisé séparément par la VAR, menant potentiellement à un arbre décisionnel entièrement différent. En fait, c’est le cas dans cette situation-ci : même si Camacho demeure expulsé après l’intervention de la VAR, la logique menant à ce carton change!
Allons-y, donc. Y a-t-il faute? S’il n’y a pas faute, l’arbitre n’a rien à faire; ici, clairement, oui. Cette faute annihile-t-elle une occasion de but manifeste (ou stoppe-t-elle une attaque prometteuse)? Sans entrer dans les détails, l’attaquant a le contrôle du ballon, est en bonne position pour attaquer, se dirige vers le but, et personne autre que Camacho peut réellement intervenir. Il s’agit donc d’une occasion de but manifeste, et l’arbitre doit donc déterminer s’il y a lieu d’avertir (carton jaune) ou d’expulser Camacho (carton rouge). La faute a-t-elle lieu dans la surface de réparation? Ici, l’arbitre détermine initialement que oui. L’arbitre doit donc se rendre à la question 4 – Camacho a-t-il tenté de jouer le ballon? Évidemment que non, vu qu’on ne joue pas au foot avec les bras. La décision, donc, est une faute qui annihile une occasion de but manifeste, sanctionnée d’un penalty, où le joueur fautif ne tente pas de jouer le ballon – carton rouge.
Mais voilà que la VAR s’en mêle, et l’arbitre en conclut que la faute était à l’extérieur de la surface, pas à l’intérieur. L’arbitre doit donc revenir au point 3, et le résultat – une faute qui annihile une occasion de but manifeste n’étant pas sanctionnée d’un coup de pied de réparation – est un carton rouge. Dans ce cas-ci, le résultat disciplinaire est le même; cela dit, en suivant le processus décisionnel, on voit comment un seul jugement différent sur les quatre aurait pu faire basculer la décision vers un autre résultat. On voit aussi, comment une décision en apparence toute simple cache quatre jugements séparés, tous avec des conséquences susceptibles de faire basculer le match.
Qu’en est-il de la VAR, en terminant? D’abord, en écoutant les transmissions audio, on se rend compte que l’arbitre a une sacrée cacophonie dans les oreilles. Vu la décision de l’arbitre (penalty et carton rouge, tous deux révisables), la VAR passe immédiatement outre la première question de son arbre décisionnel : s’agit-il d’un incident révisable? De même, la VAR ne questionne pas ici s’il y a faute ou si une occasion de but manifeste est présente, vu la situation évidente. L’attention se porte donc sur le positionnement de la faute, celui-ci étant déterminant pour la décision à suivre, et surtout s’il est possible de le déterminer de manière claire et évidente. On notera enfin deux points clé dans les communications. Premièrement, l’arbitre rend compte de sa décision selon l’arbre ci-dessus : penalty, red card, « for holding », soit une faute, dans la surface de réparation, où le joueur ne tente pas de jouer le ballon. Deuxièmement, lorsque la VAR recommande une révision, l’arbitre demande laquelle de ses décisions, exactement, est à réviser. L’intervention de la VAR est ciblée et vise un aspect précis, pas l’ensemble des jugements de l’arbitre. La décision, au final, revient à l’arbitre sur le terrain.
Cette analyse, peut-être, s’apparente à une séance de découpage de cheveux en quatre. Cela dit, ce que j’ai cherché à montrer est simple : il y a une méthode aux décisions arbitrales, et des procédures claires à suivre qui vont plus loin que de simplement avoir une vue d’ensemble. Au-delà des lois du jeu, arbitrer est une technique, une méthode et, oui, un art. On terminera en félicitant les nouveaux arbitres québécois qui ont rejoint la liste d’arbitres nationale : Renzo Villanueva et Michael Venne, qui rejoignent un contingent d’arbitres d’élite québécois de plus en plus garni.