Mettre la charrue avant les bœufs. Courir avant d’avoir appris à marcher. Dire qu’on va se payer la Croatie avant même d’avoir marqué un but en Coupe du Monde. La catastrophe était annoncée dès que l’entraîneur John Herdman avait prononcé des mots qui, on le devine, lui ont échappé dans le feu de l’action. Malheureusement, le Canada ne pouvait pas se permettre ce genre de coup d’éclat. Pas ici, pas maintenant. Ce n’est pas la ligue du dimanche. Ni même la Concacaf. C’est la Coupe du Monde. Tout le monde regarde. Tout le monde écoute. Et si pour un instant, tout le monde y a cru, au final, tout le monde a vu que le Canada était encore bien loin de ce qu’il prétendait être. Une claque et trois constats.
1) Le Canada n’était pas prêt
On s’attendait évidemment à voir le Canada, comme contre la Belgique (et un peu aussi par manque de variété), prendre le jeu à son compte dès l’entame du match. Travailler fort, pousser vers l’avant, déranger l’adversaire. Oui. C’était attendu. Par la Croatie aussi, qui n’a toutefois pas su résister aux assauts canadiens. Sauf qu’en prenant l’avance rapidement, le Canada a aussi montré la limite de ses subtilités tactiques. Une fois devant au score, le Canada ne semblait pas savoir quoi faire. Ou du moins, le Canada ne savait pas quoi faire d’autre que… travailler fort, pousser vers l’avant et déranger l’adversaire. Comme nous l’avions mentionné en conclusion de la chronique précédente, il fallait être bien naïf pour croire que ce jeu à une vitesse, sans variante et sans réflexion aurait pu fonctionner contre tout le monde, en toutes circonstances et du début à la fin. Le Canada semblait avoir travaillé sur l’objectif à atteindre en cours de match, mais pas sur la manière de rester en vie au terme des 90 minutes. Malheureusement pour les hommes en noir, après le but de Davies, il leur restait 88 minutes à jouer, sans réelle direction, sans point de mire, sans repères. Quand la Croatie a compris, le temps du Canada était compté. La marée est montée, lentement, inlassablement, jusqu’à submerger la troupe de John Herdman et Herdman lui-même.
2) Eustaquio a faibli, les Croates ont dansé
S’il y a un match qui nous a permis de réellement apprécier la valeur de Stephen Eustaquio dans le schéma canadien, c’est bien ce duel contre la Croatie. Eustaquio portait sur ses épaules toute la rigidité défensive des Canadiens. Dès l’apparition de son pépin physique, l’entrejeu canadien, surtout dans le jeu défensif, a dû se fier aux jambes bientôt quarantenaires d’Atiba Hutchinson. Le légendaire capitaine canadien n’a malheureusement plus l’âge pour tenir à lui seul contre la Croatie. On le savait, et on l’avait d’ailleurs vu avant même les difficultés d’Eustaquio. « Hutch » n’aurait d’ailleurs peut-être pas dû commencer un second match de suite, surtout contre une équipe avec un entrejeu poids lourd. Une fois Hutchinson pratiquement laissé à lui-même, il était difficile d’envisager une fin de conte de fées pour les hommes à la feuille d’érable. Ça allait vite, trop vite, trop souvent. Or, contre la Croatie, tout allait évidemment se décider dans la « bataille du milieu ». Il fallait donc réagir vite. Herdman a préféré attendre la mi-temps, avec les conséquences que nous connaissons désormais. Le Canada avait de l’eau jusqu’à la poitrine, mais son entraîneur n’a pas cru bon commencer à gonfler le canot gonflable.
3) Buchanan a subitement disparu
Après avoir reçu quelques étoiles dans son bulletin lors du match contre la Belgique, Tajon Buchanan a repris là où il avait laissé. Incisif, remuant, perturbant et frondeur, l’ailier canadien, auteur de la passe décisive sur le but de Davies, en a fait voir de toutes les couleurs aux Croates. Mais pendant 25 minutes. Première victime de la montée des eaux (et aussi de la perte de la courroie de transmission qu’était Eustaquio), Tajon Buchanan a été éliminé du jeu canadien par les vieux roublards aux maillots à carreaux. Isolé, Buchanan a vu son étoile pâlir, puis progressivement s’éteindre. La tentative d’Herdman de rallumer le feu du Brugeois en le relocalisant dans d’autres zones du terrain en seconde mi-temps n’aura pas porté fruit. Buchanan n’apportait plus rien, peu importe où il se trouvait quand il touchait au ballon, c’était une évidence. Qui plus est, il ne pouvait pas pour se libérer compter sur les percées d’Alistair Johnston, un peu dépassé par les événements, il faut le reconnaître.
Bref, le Canada, euphorisé par sa prestation contre les Belges, ou plutôt par la non-prestation des Belges, aura finalement réellement goûté au football de haut niveau à son second match au Qatar. Si le résultat n’est pas celui espéré, il est, toutefois, celui auquel il aurait fallu logiquement s’attendre. Tout n’est cependant pas perdu : la leçon est excellente, et espérons-le, ouvrira les horizons pour cette attachante équipe nationale. Espérons qu’avec un pas de recul, les personnes responsables verront la totalité du tableau. Celui-ci ne comporte qu’un seul trait, rectiligne et monochrome. Il est temps de se mettre à y ajouter des éléments.
Dernier tour de piste contre le Maroc jeudi, en espérant que le Canada quittera le tournoi en laissant encore plus de bons souvenirs.