Le Canada est à une victoire d’obtenir le précieux sésame lui permettant de retourner pour la première fois à la Coupe du monde de soccer depuis 1986. Trois petits points et on y sera. Une bonne performance de David, Adekugbe et Borjan puis on jouera en décembre au Qatar. Et c’est là que, pour moi, ça se gâche. Au Qatar. Quand le petit pays du golfe Persique a obtenu les droits pour l’organisation, je ne m’en faisais pas trop, parce que jamais je ne pensais que le Canada y serait. Je me suis dit, voilà une compétition que je pourrais boycotter sans trop de problèmes, mais maintenant c’est plus difficile et beaucoup plus complexe.
Dès le moment de l’attribution de la compétition au Qatar, on voyait le non-sens de cette décision. Pour commencer, on parle d’un coût de plus de 200 milliards de dollars US. Une somme qui représente plus du double du budget annuel du Québec en entier. Par comparaison, le budget annuel d’un organisme planétaire important comme Amnistie internationale est d’environ 350 millions de dollars, soit 570 fois moins. C’est une somme monumentale, un party hors de prix. Tout ça pour jouer au ballon dans un pays où on pratique encore la lapidation, les coups de fouets et les pendaisons pour adultère ou consommation d’alcool. Faut croire que le sport, on aime plus ça que la liberté et que les droits de l’homme…
Aussi comment peut-on justifier de bâtir 8 stades modernes dans un pays dont la superficie est à peu près la même que l’île de Montréal, l’île Bizard et l’île Jésus (où on retrouve la ville de Laval) ? C’est du gaspillage pur et simple, et ce n’est pas parce qu’on ne paie pas que ce n’est pas problématique. En fait, les 8 stades mis ensemble comptent plus de sièges que le pays ne compte de citoyens. Il faut savoir que le Qatar est en bonne partie un territoire rempli par les citoyens d’autres nations. C’est en bonne partie là que le bât blesse.
Bien souvent, ces migrants sont des travailleurs étrangers qui vont au Qatar parce qu’il y a peu d’occasions chez eux, des travailleurs du Pakistan, du Népal, du Sri Lanka, des Philippines, du Kenya… Mais cela a un prix. Un travailleur ne peut pas juste décider d’aller au Qatar comme ça. Il doit payer une somme importante pour avoir accès à un emploi qui, souvent, ne couvre pas les dépenses qui doivent être faites au départ. Puis jusqu’en 2017, il était interdit pour les travailleurs migrants de changer d’emploi une fois sur place. Souvent leurs passeports leur sont confisqués et ils sont victimes d’abus. Puis on ne parlera pas de syndicats, de protections, de salaire minimum ou de droit de grève, ça n’existe pas là-bas.
Malgré quelques réformes qui ont amélioré les choses en surface, le problème reste présent. Tout ça se répercute dans les conditions de travail de ces travailleurs migrants. Selon un article du Guardian paru il y a un an, on compte parmi les expatriés de l’Inde, du Bangladesh, du Pakistan et du Sri Lanka plus de 6500 morts entre 2010 et 2020, un chiffre qui est assurément plus large si on prend l’entier contingent de migrant. Bien qu’on ne puisse pas lier toutes ces morts directement au travail et à la Coupe du monde, il reste que la chaleur excessive qui règne dans le pays et les conditions de travail exécrables qui y règnent tuent beaucoup de ces travailleurs. En fait, une partie du problème, c’est qu’on ne sait pas réellement parce que le Qatar n’enquête pas et ne fait pas d’autopsie sur la mort de ceux qu’il traite comme des humains de seconde zone.
Certains diront que tout ça, c’est de la politique, et que leur seul intérêt c’est le sport. Ou bien ils diront que de toute façon, là où ailleurs, ça ne change pas grand-chose. Je peux comprendre, mais je ne suis pas d’accord. Même si on ne parlait pas d’une compétition entre pays, c’est une évidence que le sport a tout à voir avec la politique. Le soccer en particulier est devenu depuis une vingtaine d’années un véhicule politique qui sert à blanchir les réputations sulfureuses des pays et de leurs citoyens. C’était le cas avec Chelsea et Roman Abrahamovic, c’est le cas avec Newcastle, PSG, Manchester City. Ça se voit aussi en vélo, avec des équipes comme Astana ou Israel-Premier Tech, ou en course automobile, sans oublier que les Jeux olympiques ne sont pas exempts de ce phénomène non plus. Entre Sotchi et Pékin, on est loin de l’esprit olympique et plus près du show pour montrer la grandeur du pays. Le but n’est pas tant le sport que se donner une bonne image, et de mettre sous le tapis le fait que les droits de l’homme ne sont pas toujours respectés. En fait, on nous a volé le sport spectacle pour en faire quelque chose de plus en plus détestable.
Si on se projette dans le futur et qu’on regarde la Coupe du monde prévue pour 2026, au Canada, aux États-Unis et au Mexique, on pourrait croire que c’est mieux, mais ce serait se cacher la réalité. Déjà, la situation est loin d’être parfaite ici. Vous voulez qu’on parle de compensation pour les Amérindiens morts dans les pensionnats ou du fait qu’on les parque dans des réserves pour oublier qu’ils existent? Où vous préférez jaser des malaises profonds de la démocratie américaine qui est encore teinté d’un fort racisme? Ou bien de la violence quotidienne au Mexique? On peut parler de la FIFA aussi? Son silence et son inaction sont une caution utile pour tous ces pays. D’organiser une Coupe du monde ici c’est d’appuyer la FIFA qui elle appuie le Qatar, parce que l’argent prime par-dessus tout. La réalité, c’est que cette Coupe du monde et plus largement la FIFA, c’est devenu une catastrophe humanitaire qu’on préfère ne pas voir. Une autre. Parce que dans le fond, ça nous arrange. Du pain et des jeux, c’est tout ce qui est important.