Pertes financières, difficulté à rejoindre son public cible, un discours dans lequel les bottines ne suivent pas les babines, force est de constater que les récents déboires de feu l’Impact de Montréal donnent une impression de déjà vu. Après tout, des propriétaires d’équipes qui n’arrivent plus à (ou refusent de) suivre la cadence financière de la ligue dans laquelle ils sont engagés, au Québec, on connaît ça. Saluons ici les fans des Nordiques de Québec, équipe devenue l’Avalanche du Colorado alors qu’elle était pourtant à quelques ajustements près d’une conquête de la coupe Stanley. Petit bonjour aussi aux fans des Expos, dont je faisais partie, équipe dont la chute est connue de tous et qui a mis le cap sur la capitale américaine.
Les parallèles avec ce dernier cas sont intéressants et méritent qu’on s’y penche. Revenons en arrière, donc, de trois décennies (déjà!) pour analyser les débuts des problèmes de « nos Z’amours ». En 1990, le propriétaire de l’équipe, Charles Bronfman, annonce qu’il cherche à vendre l’équipe, brandissant des pertes cumulées de 42,2 millions depuis 1969 pour justifier sa décision. Ça vous rappelle quelque chose? C’est normal. En octobre 2018, Joey Saputo a affirmé encaisser des pertes annuelles de 11 à 12 millions par année depuis que son équipe évoluait en MLS, soit depuis 2012.
Charles Bronfman, lui, est parvenu à profiter de la vague de sympathie qui persistait pour son équipe depuis 1969 pour trouver des investisseurs québécois s’étant engagés à maintenir l’équipe à Montréal. Arrivent Claude Brochu et les boys de ce qu’on avait alors appelé le « Québec inc. ». Tiens, le Québec inc. Ça vous dit quelque chose? C’est normal. Saputo, en août 2018 : « Nous, il faut qu’on s’améliore aussi si on veut suivre la parade. On doit avoir plus d’appui de nos partisans, de Québec inc., de la ville de Montréal, l’association canadienne. On va faire tout ce qui est possible pour suivre la parade et on a un plan pour le faire. » Deux ans plus tard, pandémie oblige, on devine bien que « le plan » n’a pas beaucoup progressé.
Claude Brochu et ses amis, bien qu’ils aient pu profiter d’une équipe absolument extraordinaire au milieu des années 1990 (ah, 1994, et ce que ça aurait pu être!), ne parviennent toutefois pas à stopper l’hémorragie. Et bien entendu, le problème ne vient pas de leur mode de gestion et de leur incapacité à investir pour suivre la cadence. Non. C’est la faute… du stade, évidemment. Il faudra donc en construire un nouveau. Au centre-ville. Un projet ambitieux, voire farfelu, qui aurait magiquement replacé les Expos dans le noir (impact, comme dirait Justin). Ici, le parallèle est moins évident, car s’il y a bien une chose dont le CF Montréal a besoin, c’est d’un stade moderne, sur le même pied que les nouveaux stades construits en Major League Soccer. Si le stade olympique avait un potentiel sous-exploité pour attirer des clients fortunés (à l’image du « club de receveur » aménagé derrière le marbre), le stade Saputo, lui, donne une impression d’installation temporaire préfabriquée à laquelle on a jouxté une maison Bonneville pour recevoir les clients VIP. Le parallèle, donc, se situe plutôt dans la pensée magique. Car bien entendu, le problème ne réside pas dans le mode de gestion et l’incapacité à investir pour suivre la cadence. Non. C’est la faute… du nom, évidemment! « Pour faire un impact, on doit retirer l’Impact. » Maintenant qu’on s’appelle le CF Montréal, ça fait plus international et on va attirer plus de gens! Inutile de vous rappeler que le stade des Expos, le fameux Parc Labatt, n’a jamais été construit… et on voit bien maintenant que si le projet était parti de bonnes intentions, il fut aussi en partie exploité dans une opération de relations publiques.

Par la suite, pour les Expos, ce fut l’exode. Les commanditaires principaux, Labatt en tête (tiens donc), se désistent, puis les fans abandonnent le navire, en ayant plein le dos d’être pris pour des valises, mais surtout pointés du doigt depuis des années. Parce que refuser d’investir pour suivre la cadence, échanger les joueurs vedettes en retour de presque rien et gérer un peu n’importe comment n’est pas la source du problème, non. Le problème, ce sont les Montréalais, surtout ceux qui ne viennent pas au stade. Tiens, ça vous rappelle quelque chose? C’est normal. En février 2015, Saputo conviait les médias pour leur dire que « Le buzz n’est plus là, pas seulement pour le match de la CONCACAF, le buzz pour l’Impact n’est plus là. On a fait les changements nécessaires pour avoir une meilleure équipe. Les gens s’attendent à un meilleur produit, on a livré la marchandise, maintenant c’est à eux de venir voir si c’est le cas ou non. »
Parce que oui, c’est de votre faute, mesdames et messieurs. Si les Expos sont partis, c’est de votre faute. Ça n’a rien à voir avec les jeux de coulisses et les manigances des gens impliqués. Si l’Impact, pardon, le CF Montréal (la distinction est importante) quitte la ville, ce sera de votre faute. En fait, c’est déjà de votre faute. Comme en 2015, quand Joey avait fait les « changements nécessaires », en 2022, ou 2023, ou 2024, le propriétaire aura tout fait, même changé le nom de l’équipe, pour éviter le pire. Car comme ce n’est pas de la faute de Bronfman ou de Brochu si les Expos ont déménagé, ce ne sera pas non plus la faute de Joey Saputo si jamais il faut envoyer les sacs de ballons aux États-Unis. Ce sera de votre faute. Mais pas que. Il y aura aussi le taux de change, la flambée des investissements et, ça tombe bien, la pandémie.
Mais faut-il vraiment s’inquiéter d’un éventuel déménagement? Pas nécessairement. Après tout, c’est vrai que Joey Saputo fait ce qu’il peut pour que ça marche. Il a même embauché un président pour tout arranger! Comme quand les Expos avaient trouvé un investisseur en Jeffrey Loria. Loria devait arriver avec beaucoup d’argent, permettre le financement du Parc Labatt et relancer les Expos pour au moins 20 ans. Malheureusement, les investissements promis n’ont été que partiels, mais en plus, six mois après avoir dévoilé la maquette du nouveau stade, le projet était pratiquement mort et enterré. Loria s’est rapidement aliéné les fans. Ça vous rappelle quelque chose? C’est normal. L’arrivée de Kevin Gilmore a été accueillie avec enthousiasme et laissait présager des changements prometteurs pour assurer un avenir doré au club. Or, un an et demi après son arrivée, Kevin Gilmore a sacrifié l’identité historique du club… et s’est par le fait même aliéné une partie des supporters les plus fidèles.
Parlant de cette identité, sachant qu’elle appartient à la Major League Soccer, tant dans son nom que dans son logo, cela permet une double lecture de cette déclaration de Joey Saputo, lancée en lever de rideau du dévoilement de la nouvelle identité le 14 janvier dernier : « C’est difficile de laisser partir les choses que l’on aime, mais la réalité est que, pour avoir un impact, il faut se défaire de l’Impact. » Pour avoir un impact, il faut se défaire de l’Impact. Pour avoir… un Impact, Joey? La ligue détient désormais les droits sur un nom générique que peu de gens aiment et sur un logo auquel la population et les fans peinent à s’identifier. Les groupes de supporters réclament le retour du nom. Ce nom, lui, n’est plus utilisé par la ligue. Et si plutôt que de « laisser partir » une chose que l’on aime, on avait choisi de la protéger, de la mettre à l’entrepôt pour tenter de la récupérer plus tard?
Loin de moi l’idée de prétendre que tout est orchestré. Je ne suis pas dans le secret des dieux. Or, les signes sont inquiétants. J’ai bien essayé de faire l’exercice inverse, de regarder la situation en acceptant les explications données pour justifier les décisions. Rien ne tient. Et en plus, l’argumentaire est faible. Si le Parc Labatt avait au moins la capacité de faire rêver les fans, le CF Montréal, avec son identité qui supposément « reflète celle de Montréal et des partisans de l’équipe », a plutôt irrité un paquet de gens et brisé les liens avec les supporters les plus fidèles du club, qu’ils aient un drapeau à la main ou non. C’était à prévoir. Le club le savait. D’entréede jeu lors du dévoilement, les représentants du club appelaient à la patience, reconnaissant que les gens risquaient de ne pas aimer ça « au début », mais estimant qu’ils s’y feraient à la longue. Peut-être. Mais pour un club dont l’objectif était d’attirer un plus grand nombre d’abonnés dans les plus brefs délais, c’était une mission kamikaze. Et les kamikazes n’agissent généralement que quand tout espoir est perdu.