La science de l’arbitrage selon Carol Anne Chénard

Publié par

Durant les 15 années où elle a eu le grade FIFA, Carol Anne Chénard a excellé comme arbitre internationale au point d’être une remarquable ambassadrice pour le soccer canadien, mais aussi d’être un véritable modèle à suivre pour nos arbitres, hommes et femmes.

Dans le cadre d’une entrevue dont de longs passages ont été publiés dans le numéro du mois de décembre du magazine Québec Soccer – elle y indique alors qu’elle entend continuer de partager sa grande expertise avec des arbitres plus jeunes dans des rôles de supervision –, Chénard a aussi expliqué en long et en large sa façon d’arbitrer. 

Une philosophie que nous avons cru bon partager avec les lecteurs de Viau Park. En voici quelques extraits… saupoudré aussi de quelques propos de Sonia Denoncourt, qui a connu le même cheminement que Chénard comme arbitre avant de devenir sa mentore.

Gérer les gens
L’arbitre au soccer a une mission principale : garder le contrôle du match. L’officiel a des outils, ses cartons – jaune et rouge –, pour ‘convaincre’ les joueurs de faire preuve de discipline, mais l’arbitrage se résume à bien plus qu’aller chercher un carton dans sa poche de chemise, Chénard en convient.

« C’est avant tout beaucoup de ‘man management’ (gestion des gens), il s’agit d’utiliser ma personnalité pour essayer de gérer les joueurs. Parce qu’on ne peut pas seulement y aller à coups de carton, on doit utiliser notre personnalité, notre langage corporel… Quand je peux communiquer avec les joueurs pour essayer de calmer les choses – parce que bien souvent, un petit mot ici et là, souvent ça fonctionne mieux qu’un carton jaune…

« Il faut ‘lire’ les joueurs. Y a-t-il un joueur sur le terrain qu’on peut, par exemple en demandant au capitaine ou un autre joueur de son équipe, amener à se calmer. Bien souvent, ça va être mieux si c’est un joueur de son équipe qui va dire, ‘C’mon les gars, on se calme…’ 

« Aussi, par exemple, je vais aller courir à côté d’un joueur pour lui dire (discrètement), écoute, j’ai vu (la faute de l’adversaire à tes dépens), je vais le surveiller, laisse-moi gérer ce joueur-là parce que si c’est toi qui réagis, c’est toi qui va finir par en payer le prix (en se faisant prendre à commettre une faute). Ou encore, je vais aller parler (au joueur fautif) et lui dire, ‘OK, j’ai peut-être manqué cette faute-là, mais là je te surveille, alors calme-toi’ ou quelque chose comme ça… »

Une science… ou un art?
Reste qu’il s’agit d’une ‘science’ – un art? – qui n’est pas évident puisqu’on voit parfois, sur les terrains, des arbitres tenter de calmer les joueurs mais qui, ce faisant, ne font qu’attiser le feu! Chénard reconnaît que ça peut arriver et qu’il faut savoir quand c’est le moment d’emprunter d’autres chemins pour arriver à ses fins.

« Oui, il y a des joueurs avec qui ça ne marchera pas. Tu peux dire n’importe quoi et ça va juste empirer les choses. Un joueur comme ça, tu dois trouver une autre manière. Aussi, ça peut arriver une fois que je vais dire quelque chose à un joueur et tout le monde rit, et ça se calme. Le match suivant, je dis exactement la même chose et ça empire les choses! La gestion des gens, c’est sûr que ce n’est pas facile, tu as 22 joueurs sur le terrain avec des personnalités différentes.

« Mais une chose est sûre : un arbitre doit toujours avoir une approche avec les joueurs qui se fait dans le respect. Peu importe ce qu’on va leur dire pour les amener à se calmer, ça doit venir d’un point de vue de respect et de calme. » 

Un regret
Donc, pas de remarques désobligeantes, pas d’attitude méprisante. Ce qui n’est pas facile puisque l’arbitre, parfois, n’aura pas droit à ce même genre d’attitude courtoise… bien au contraire.

C’est ainsi qu’un arbitre va en entendre des vertes et des pas mûres, mais encore là, il ne peut pas se mettre à enfiler les cartons jaunes puisque dans certaines situations, ça ne ferait qu’envenimer les choses. Ici aussi, trouver le juste équilibre n’est pas évident. Chénard se souvient notamment d’un épisode où elle avait choisi de faire semblant de ne pas avoir entendu la remarque d’un joueur, et elle l’a regretté après coup.

« Une fois, un joueur sur le terrain avait utilisé des mots pour me parler qui étaient inappropriés et j’ai choisi de ne pas réagir parce que je me suis dit, personne ne va le savoir, je suis capable d’encaisser et de passer au travers, a-t-elle raconté. Et ensuite, quand j’ai regardé le match à la télé, j’ai réalisé qu’on pouvait entendre tout ce que le joueur m’avait dit! Et que s’il y avait de jeunes arbitres qui voyaient ça (à la télé), ce n’était pas un bon exemple à donner. J’aurais dû réagir à ce moment-là et j’ai retenu la leçon. »

Ne pas rater les moments-clés
Comme le dit Sonia Denoncourt, qui a elle aussi été une arbitre de grade FIFA avant de superviser la carrière de Chénard dans différents rôles, un officiel doit savoir déceler quels sont les moments-clés d’une rencontre et intervenir de façon décisive dans ces moments-là. 

« Entre nous (arbitres), on se disait tout le temps qu’il ne fallait pas faire de grosse erreur dans le match. Que tu peux manquer un petit coup franc, mais tu ne peux pas manquer un penalty, tu ne peux pas manquer un carton rouge, tu ne peux pas manquer quelque chose qui a une forte influence sur le match, a déclaré Denoncourt. Les entraîneurs vont toujours te pardonner si tu fais des petites erreurs ici et là. Mais (pas) si tu manques un gros penalty ou un gros carton rouge… »

Pas facile d’avoir un tel doigté sur le terrain, c’est de toute évidence beaucoup de pression mais reste qu’à la base de tout cela, les arbitres doivent aussi savoir… avoir du plaisir à faire ce qu’ils font.

« On ne sait jamais quand on va arbitrer notre dernier match, alors il faut savourer chaque opportunité qu’on a d’arbitrer et… avoir du ‘fun’, a indiqué Chénard. L’arbitrage, ce n’est pas toujours facile, et quand on a 15 ans, c’est pas quelque chose qu’on fait dans l’intention de devenir arbitre international, alors on doit s’amuser, on doit aimer le fait de se retrouver sur le terrain.

« Et il faut rester humble, sinon… On n’est pas les vedettes. Nous, en tant qu’arbitres, on veut pouvoir sortir du terrain à la fin d’un match, et que personne ne parle de l’arbitre. »

À ce titre, Chénard aura réussi de façon magistrale… puisque le moment où on aura le plus parlé d’elle dans les médias c’est cet automne, à l’annonce de sa retraite comme arbitre.