Pierre Mindru, le tortionnaire adorable

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Le Manic, l’Inter, le Supra, le FC Supra, l’Impact, même les Équipes du Québec, Elio Blues dans le championnat provincial senior et le Cosmos de LaSalle dans la LNSQ : Pierre Mindru a été de toutes les aventures du soccer québécois ou presque.

On peut donc dire que Mindru a marqué l’histoire de notre foot. Ceux et celles qui ont connu celui qui est décédé en 2016 à l’âge de 81 ans vous diront toutefois que ce personnage plus grand que nature en a aussi marqué le folklore.

« Je me souviendrai toujours de son grand sourire », affirme Natalie Barcelo, physiothérapeute et coordonnatrice médicale du CS Mont-Royal Outremont et de la PLSQ, qui a côtoyé Mindru quand celui-ci était adjoint à l’entraîneur Eddie Firmani avec l’Impact en 1993. « Il était toujours attentionné. Il était quelqu’un à qui ça importait vraiment de savoir comment les gens de son entourage se sentaient. »

Surnommé « le Tortionnaire » par la presse sportive montréalaise à l’époque du Manic en raison des entraînements durs qu’il dirigeait, Mindru était détesté par certains en raison de son approche ancrée dans le foot est-européen des années 1960. Mais celui qui est né en Roumanie et qui a joué pour le Progresul Bucarest de 1956 à 1969 était par ailleurs adoré par d’autres… pour les mêmes raisons ou à peu près! Comme Tasso Koutsoukos par exemple, qui l’a eu comme entraîneur avec l’Inter de Montréal en 1983, puis le Supra en 1989.

« (Mindru) était un très bon entraîneur, mais malheureusement pour lui, il prenait pas mal de gens à rebrousse-poil en raison de sa mentalité des pays du bloc de l’Est qui faisait qu’il avait des exigences élevées en matière de discipline et de respect à son égard », a indiqué Koutsoukos, qui a connu une longue carrière dans les rangs professionnels, notamment avec le Sting de Chicago et les Roughnecks de Tulsa dans l’ancienne NASL, ainsi qu’avec plusieurs équipes au soccer en aréna.

Koutsoukos a toutefois vite été impressionné par le rigueur de Mindru dans les séances d’entraînement.

« Les séances ne dépassaient jamais l’heure et demie, a noté Koutsoukos. À la fin, comme joueur, tu avais l’impression de n’avoir presque rien fait. C’est quand tu t’asseyais que tu t’apercevais que tu ne pouvais plus bouger tellement tu étais fatigué. Il était précis dans ses méthodes d’entraînement – le mouvement sans le ballon, avec le ballon. Il préconisait l’attaque, il ne voulait jamais qu’on passe le ballon latéralement ou vers l’arrière. Il optait pour un jeu très direct. Et quand on perdait le ballon, il fallait défendre tout de suite – pas revenir 50 mètres en arrière et donner 50 mètres d’espace à l’adversaire, il fallait essayer de regagner le ballon tout de suite.

« Avec l’Équipe du Québec, nous avions affronté Queens Park Rangers au stade McGill et nous les avions battus 2-1. Ils avaient ensuite dominé tous leurs adversaires dans la tournée qui a suivi. Mais nous les avions battus parce que Pierre nous avait fait jouer de la bonne façon tactiquement.

« Mais ce que j’aimais le mieux de Pierre, c’est que s’il avait le sentiment que tu pouvais contribuer et rendre l’équipe meilleure, il te faisait jouer même s’il ne t’aimait pas. Les entraîneurs du genre, c’est rare. »

Ce qui arrive à Winnipeg…
Mindru a aussi marqué notre folklore parce que les circonstances ont fait qu’il s’est retrouvé entraîneur-chef du Supra, en relève à Andy Onorato, l’année où les joueurs ont accepté de disputer la saison sans garantie de salaire. Or, quels leviers un entraîneur peut-il activer pour assurer la discipline quand il ne peut moralement leur imposer des amendes puisqu’ils n’encaissent aucun revenu?

Mindru en avait trouvé un : leur faire faire des pompes ou des sprints devant tout le monde. Un épisode du genre a d’ailleurs marqué les esprits.

« L’équipe était à Winnipeg. Le match avait commencé à quelque chose comme 18 h, nous avions disputé le match et comme d’habitude après un match (à l’étranger), les gars planifiaient d’aller prendre un verre et voilà que Pierre nous annonce qu’il allait y avoir un couvre-feu à minuit, a raconté l’ancien gardien Aldo Braccio. Même si on ne jouait pas le lendemain! Dans mon cas, j’avais des membres de ma famille à Winnipeg, je suis allé passer la soirée chez eux mais je suis quand même revenu à l’hôtel à une heure du matin seulement. Et (Pierre) était là dans le lobby de l’hôtel, à attendre que les joueurs rentrent. Il m’a fait faire 50 flexions des genoux à la poitrine, dans le lobby! »

« J’étais arrivé en retard avec Jean-Robert Toussaint et (Pierre) s’était caché dans un coin, on ne l’avait pas vu en rentrant. Il a commencé à nous faire courir dans le couloir », a quant à lui relaté Frank Dépatie, lui aussi un gardien.

« Tous les gars (qui étaient déjà dans leurs chambres) regardaient ça. On a ri un bon coup », a indiqué Koutsoukos.

« Au moment de revenir à l’hôtel, nous avions vu que Pierre faisait faire des sprints dans le couloir à (Jean-Robert et Frank) qui avaient été pris à arriver en retard, a de son côté expliqué Cameron Walker. Nous en avions profité pour regagner discrètement nos chambres, sans que Pierre réalise que nous étions rentrés encore plus tard qu’eux. C’était tordant! »

Koutsoukos raconte une autre anecdote, qui illustre aussi le fossé qu’il y avait entre les générations.

« (Mindru) avait laissé les clés dans les serrures de chacune de nos chambres, ça lui permettait de rentrer rapidement dans la chambre et de voir ce que les gars faisaient vraiment à ce moment-là, a raconté Koutsoukos. Alors il est 21h30, 21h45 et Pierre rentre dans notre chambre, il nous salue, nous demande comment on va, si on est prêt pour le match du lendemain, il prend la manette de la télé et il éteint la télé. Il éteint les lumières de la chambre, il fait complètement noir, il nous souhaite bonne nuit, il nous dit à demain. Nick Albanis, mon cochambreur, me lance: ‘Mais c’est quoi ça? On fait quoi, là?’ J’ai dit à Nick, écoute, laisse-le penser qu’il a fait ce qu’il pensait devoir faire, attendons 10 minutes et on rallumera la télé. Et c’est ce qu’on a fait.

« Il avait la mentalité d’un militaire russe, a ajouté Koutsoukos. C’est pas une démocratie, c’est une dictature et je suis le dictateur – c’est ce qu’il avait l’habitude de dire à l’entraînement. Et il avait raison, parce qu’un entraîneur peut faire pas mal ce qu’il veut. Il était assez honnête pour le dire.

« Mais je le prenais avec un grain de sel, parce que j’avais eu des entraîneurs qui avaient fait de bien pires choses que ça à leurs joueurs. »

Une attention spéciale pour les gardiens
Mais comme Natalie Barcelo l’a dit, Mindru avait aussi son côté souriant et très humain, ce qui faisait qu’au-delà de certains épisodes plutôt caricaturaux, il était aussi une personne très attachante, passionnée et dévouée.

« Je me souviens que Pierre avait tellement de passion et d’amour pour le soccer qu’il nous avait inspirés et amenés à obtenir de meilleurs résultats que prévu (en 1989) », a dit Walker.

« Je me rappelle que Pierre, même s’il était l’entraîneur-chef, passait une demi-heure de plus après les entraînements avec les gardiens de l’équipe », a dit Braccio au sujet de Mindru, qui occupait la position de gardien de but quand il jouait en Roumanie. « Et parce qu’il était de la vieille mentalité, il nous tuait à l’ouvrage. Il plaçait une dizaine de ballons à six mètres du but et il nous larguait des boulets, un après l’autre. Je trouvais ça dur de faire ça en plus de l’entraînement régulier, mais j’aimais ça aussi parce que c’était la première fois depuis les rangs pee-wee que je pouvais profiter des conseils d’un entraîneur qui connaît les gardiens de but. »

« À 16-17 ans, je faisais partie de la deuxième équipe du Manic et on n’avait pas de gymnase l’hiver, alors Pierre nous amenait pratiquer sur le Mont-Royal dans la neige, a pour sa part raconté Dépatie. C’est lui qui m’a donné mes premiers conseils (spécifiques aux gardiens). »

« Il avait une vibration spéciale, a indiqué Gustavo Echevarria, attaquant avec l’Impact en 1993. Il était sympathique, il essayait de me parler en espagnol. Je me rappelle des échauffements qu’il dirigeait… l’énergie qu’il avait, même s’il était assez âgé à l’époque, c’était marquant. »