Si un arbre tombe dans la forêt mais personne n’est là pour l’entendre, fait-il du bruit? La réponse, c’est… oui, si le journaliste Martin Smith est là pour en assurer la couverture!
OK, on vous le concède, voilà une analogie bien imparfaite puisqu’à l’époque où Smith suivait les activités de l’Impact pour le Journal de Montréal, il y avait quelques milliers de spectateurs au Complexe sportif Claude-Robillard. Du bruit, il y en avait un peu.
Mais Smith, par sa couverture exhaustive, régulière et sérieuse de l’Impact, a permis à ce bruit d’avoir des échos au-delà de la rue Christophe-Colomb. Dans son rôle de journaliste, il a donné au soccer d’ici une visibilité que ce sport n’avait pas eu depuis l’époque du Manic. Il aura du même coup pavé la voie à un contexte qui permet aujourd’hui à l’Impact de profiter d’une couverture sans précédent via la plume de Dave Lévesque.
Rétrosoccer s’est entretenu avec Smith afin qu’il nous parle du contexte dans lequel tout ça s’est fait.
Coeur de rocker… et de sportif
C’est en juin 1984 que Martin Smith s’est amené au Journal de Montréal. D’abord affecté aux faits divers — « les chiens écrasés », dit-il reprenant l’expression d’usage à l’époque –, il a ensuite couvert la musique rock pendant quatre ans à titre de surnuméraire. C’est à ce moment-là que la porte de son destin s’est ouverte : un poste de permanent s’est libéré du côté de la section sportive.
« Je me suis dit que si j’attends (qu’un poste de permanent s’ouvre) aux spectacles… Des postes, il n’ y en avait pas énormément. Quand le poste aux sports s’est ouvert, j’ai appliqué et Bernard Brisset venait d’arriver comme directeur des sports, il trouvait ça intéressant d’avoir quelqu’un qui avait un point de vue différent. »
À l’époque, le soccer professionnel montréalais renaissait à peine de ses cendres et le Supra était le porte-étendard du soccer québécois à ce niveau.
« Il n’y avait personne qui couvrait le soccer pour (le Journal), à leurs yeux c’était un sport de moumounes », raconte Smith, qui a découvert le soccer en 1970, à l’âge de 16 ans, quand sa famille s’est installée en France pendant un an.
Personne au Journal ne détestait le soccer, mais personne ne l’adorait, ce qui fait que c’était tombé dans l’oubli. Smith y a vu une opportunité de briser le mur d’indifférence, mais aussi une opportunité de faire sa niche. Ils s’est donc mis à suggérer des sujets et, bien souvent, sur le soccer. Puisque le Journal consacrait plusieurs pages aux sports, il y avait amplement d’espace à remplir. Le dynamisme de Smith tombait donc à propos; les chefs de pupitre y voyait un bon moyen de remplir les pages de l’édition du lendemain. C’est ainsi que le soccer a commencé à se faire une place régulière dans les pages du Journal.
« S’ils avaient pu avoir 75 pages de hockey, c’est ce qu’ils auraient fait… J’ai dû quand même me battre pas mal au début, a indiqué Smith. Mais à l’époque, il y avait de l’argent, il y avait de l’espace… »
Quand l’Impact est arrivé, Smith était le seul journaliste à Montréal à couvrir l’équipe régulièrement, avec Randy Phillips du quotidien anglophone The Gazette. Ronald King, de La Presse, le faisait à l’occasion. Puis, Smith a proposé de suivre l’Impact sur la route, et ç’a été accepté.
« Je m’arrangeais pour que ça coûte pas trop cher au Journal, a expliqué Smith. Je n’avais pas les conditions d’un gars de beat, mais je n’allais pas me mettre à bouder. Ça faisait mon affaire et ça faisait leur affaire. »
Des liens privilégiés
À titre de seul journaliste qui accompagnait l’Impact à l’étranger, Smith s’est retrouvé dans une situation privilégiée, qui tranchait avec le contexte dans lequel évoluent les journalistes qui couvrent l’Impact de nos jours. Ça lui a permis de vivre des moments extraordinaires.
« J’étais le seul (journaliste présent) et ils ne pouvaient pas faire comme si je n’existais pas, a noté Smith. J’étais continuellement avec les joueurs. Je mangeais avec eux, ils me laissaient monter à bord de l’autobus après le match pour revenir à l’hôtel…
« C’était vraiment une famille à cette époque-là. Pour eux, c’était très important que je sois là (pour leur donner de la visibilité), alors ils prenaient soin de moi. J’étais quasiment un gars de la gang », a indiqué Smith, qui a ainsi pu avoir accès à la vie du club en coulisses.
« Ça avait ses avantages, mais aussi ses inconvénients. Lorsqu’il se passait quelque chose d’un peu controversé et que j’avais une vision de l’intérieur, c’était pas toujours évident de tout raconter ce que je savais », a-t-il expliqué.
« Mon moment le plus difficile, à ce niveau-là, ç’a probablement été quand Nick (De Santis) et Mauro (Biello) contestaient Valerio Gazzola », a raconté Smith, en parlant du moment où, à l’issue des séries éliminatoires de 1997, Biello a déclaré publiquement que ça ne fonctionnait plus avec l’entraîneur Gazzola; ce dernier a été remercié peu après. « Il y avait deux camps et j’étais comme entre les deux, et c’était difficile de trancher.
« Reste que pour moi, ç’a été l’âge d’or de ma couverture de l’Impact. »
L’impact de la couverture de l’Impact
Parallèlement à tout ça, le soccer québécois a grandi au point de devenir le sport de participation le plus important au Québec. Les assistances aux matchs de l’Impact au Complexe sportif Claude-Robillard sont passées d’environ 4 000 personnes par rencontre à plus de 10 000.
Smith sent qu’il a eu un impact à cet égard, avec raison. Sa couverture a permis à l’Impact de jouir d’une crédibilité sans précédent. Alors que le Supra, hormis les articles de Smith, Phillips et King à l’occasion, devait se fier aux communiqués de presse d’avant-match et d’après-match rédigés par le club en guise de couverture, l’Impact pouvait compter sur une couverture touffue, parfois louangeuse et parfois critique grâce à Smith. Ce qui montrait aux lecteurs que l’Impact, c’était du sérieux.
« C’était gratifiant parce que j’avais l’impression que la couverture que je faisais contribuait à accroître la popularité de l’équipe, a dit Smith. Si ç’avait continué d’être juste les communiqués de presse qu’on publiait, peut-être que les Saputo se seraient ‘tannés’… »
D’une CM à l’autre
Smith s’est ensuite mis à couvrir la Coupe du monde. Il se souvient d’avoir fait « probablement 10 000 km » en voiture pour parcourir les différentes villes des États-Unis à l’occasion de la World Cup USA 1994 en compagnie du regretté Jacques Gagnon, qui était notamment collaborateur pour le magazine Québec Soccer.
« Puisque je n’étais pas rattaché à une équipe nationale en particulier, je faisais au moins 25 à 28 matchs, question d’en donner le maximum (au Journal et aux lecteurs) et de couvrir l’ensemble du tournoi. On sait à quel point c’est grand, les États-Unis. On allait donc, un soir donné, voir un match à Detroit, puis le lendemain à Chicago. On se tapait des distances incroyables, mais c’était dans ma nature, j’aime ça chauffer.
« Reste que le top du top, ç’a été l’Allemagne. Voyager dans leurs trains ultrarapides, tout était bien organisé… Il y avait de l’atmosphère dans chaque ville, pas juste dans le stade. »
La fin… avant le début de la MLS
Smith a continué de couvrir l’Impact jusqu’au long et pénible lock-out des employés du Journal de Montréal en 2009, et même un peu plus puisqu’il a travaillé pour ruefrontenac.com, le site web regroupant les journalistes en arrêt de travail. Il aurait pu reprendre son boulot au Journal quand ça s’est réglé, ce qui lui aurait permis de vivre l’entrée de l’Impact en MLS en 2012, mais il a préféré prendre sa retraite.
« J’avais 57 ans à l’époque, j’avais droit à la retraite avec pénalité. C’était tentant à quelque part parce qu’après toutes ces années à couvrir le club pendant que la direction du Journal considérait le soccer comme un sujet marginal, voilà qu’avec la MLS, une vraie grosse ligue professionnelle, ça allait devenir un vrai ‘beat’. Mais je ne voulais pas retourner travailler aux côtés des (personnes) qui avaient fait le travail de couverture pendant que nous, on était dans la rue. »
Smith aura quand même eu le temps de laisser un héritage durable. Mais celui-ci est tout aussi fier d’avoir été le rédacteur final du livre des 100 ans de la Fédération de soccer du Québec, lui qui a complété le travail colossal entrepris par Matthias Van Halst.
« En même temps, le legs le plus important que je vais laisser, c’est peut-être mes deux fils, qui aiment tous les deux le soccer », dit Smith dont un des garçons, Étienne Vallée-Smith, a été accepté au Collège français en sport-études option soccer.