Quand on dresse la liste des équipes de soccer professionnel qui ont vu le jour à Montréal, il faut sans doute considérer l’Inter-Montréal FC comme la pire tentative sur le plan financier puisque l’organisation n’aura duré que le temps des fraises, en mai et juin 1983. Mais on doit peut-être la classer au premier rang au chapitre des plus belles équipes jamais été alignées au Québec.
Parce que l’Inter a sans doute présenté, au sein de son effectif, le plus bel équilibre entre joueurs de renom provenant de l’étranger et talent local.
« C’est peut-être la meilleure équipe pour laquelle j’ai joué », affirme André Gagnon, qui a ensuite joué pour le Supra dans la Ligue canadienne à la fin des années 1980, de même qu’avec l’Univestrie de Sherbrooke dans la LNSQ semi-professionnelle.
« On avait cinq jeunes et cinq joueurs d’expérience sur le terrain, c’était la recette parfaite ! » a renchéri Harry Makdessian, qui a lui aussi joué dans la LNSQ par la suite, notamment avec Superga. « On aurait pu affronter n’importe quelle équipe d’Europe. On l’a d’ailleurs prouvé quand on disputé le tournoi au parc Jarry. »
L’Inter avait effectivement remporté un tournoi à quatre équipes disputés en juin 1983 au stade du Parc Jarry, qui regroupait les clubs italiens Udinese et Avellino, ainsi que l’Olympique de Marseille.
« C’est une des images fortes qui me restent, a indiqué Gagnon. Les estrades avaient été pas mal pleines, tu avais deux clubs de première division italienne, donc la communauté italienne de Montréal était présente… »
« On avait une excellente équipe parce qu’on avait un bon mélange de jeunesse et d’expérience, a fait savoir Makdessian. Devant le filet, il y avait Raddy Avramovic, un Yougoslave qui a joué pour Notts County. Il était grand, il était incroyable. Ce gars-là pouvait botter le ballon d’un bout à l’autre du terrain. Il a d’ailleurs été mon co-chambreur. »
« Tu avais Pino Wilson, qui était allé à la Coupe monde avec l’équipe italienne (en 1974), un vrai pro d’Italie qui avait fait une bonne carrière, a ajouté Gagnon. Il y avait Gordon Hill et Bob Vosmaer, que les gens connaissaient parce qu’ils avaient joué avec le Manic… Et il y avait un Grec qui jouait au milieu du terrain, qui était vraiment intéressant… »
« … Takis Nikoloudis, un international grec qui ajoué pour AEK Athènes, a complété Makdessian.
« C’était des pros dans le vrai sens du terme, qui avaient une carrière établie », a noté Gagnon.
Il y avait aussi, comme Gagnon et Makdessian, des jeunes joueurs prometteurs, les meilleurs du Québec tels que Mimmo Dell’Armi et Arthur Calixte, qui ont pu apprendre aux côtés de ces vétérans venus d’un peu partout.
Et il y avait le Québécois Tasso Koutsoukos et l’Italo-Canadien Gerry Morielli, un peu plus vieux, qui s’étaient exilés pour aller jouer dans la Ligue nord-américaine de soccer, et qui étaient revenus au bercail pour l’occasion.
Les joueurs venaient d’univers de foot très différents mais l’entente était bonne, disent Makdessian et Gagnon.
« Bobby, Gordie, les gars (qui venaient de l’extérieur) n’agissaient pas en ‘bigshots’, le mélange se faisait très bien, a affirmé Makdessian. On avait du plaisir ensemble, on mangeait ensemble, on se lançait des blagues. C’était bien, c’était incroyable en fait. »
« Ça jouait au ballon, a par ailleurs indiqué Gagnon. On avait une équipe plutôt latine, internationale… Il y avait Gordie (Hill), un Anglais, mais il faisait le show devant… »
Comme l’a souligné Gagnon, Montréal offrait en 1983 le curieux paradoxe d’avoir deux équipes pros de soccer – l’Inter dans la CPSL et le Manic dans la NASL – et une seule équipe pro de hockey, et l’Inter ne souffrait pas nécessairement de la comparaison avec le Manic. Celui-ci avait perdu ses joueurs vedettes en raison du virage entrepris par la Brasserie Molson, qui voulait en faire la sélection canadienne, au grand dam de ses plus ardents partisans, attachés aux joueurs venus de l’étranger.
« Je ne sais pas si c’est vrai, mais je me souviens d’avoir eu vent que (Jean-François) Larios, qui était avec le Manic à ce moment-là, était venu nous voir et qu’il avait dit que ça jouait mieux que le Manic, a raconté Gagnon. Même si ce n’était pas vrai, probablement qu’il y avait des gens qui le disaient. On n’a jamais joué un contre l’autre, alors on ne saura jamais quelle équipe était la meilleure, mais une chose est sûre, on jouait un beau football. C’était une belle, belle équipe. »
Une belle équipe qui, faute de solidité financière, a littéralement disparu du jour au lendemain. Bob Laker, qui était à la tête de l’organisation, n’était pas un millionnaire, loin de là. Sans doute qu’il comptait sur les recettes aux guichets pour renflouer les coffres et la présence des amateurs pour obtenir de la commandite. Mais l’organisation n’a pas tenu, alors qu’on a eu des assistances en montagnes russes.
« Je me souviens qu’au premier match (au parc Jarry), il devait y avoir 14 000 personnes, il y avait les drapeaux dans la foule et tout, c’était une super ambiance, a affirmé Gagnon. Après, il y a dû y avoir – j’y vais au pif – de 5000 à 6000 personnes par match. Puis, pour le tournoi, il y a probablement eu de nouveau une douzaine de milles par match. »
L’aventure de l’Inter s’est terminée pas mal avec le tournoi et, donc, sur une note douce-amère étant donné que l’équipe avait remporté la compétition et attiré de bonnes foules à cette occasion.
« Pour être honnête, on était tous surpris. Tout à coup, boum, la décision était prise, on s’était présentés au stade pour l’entraînement et après, ils nous ont dit que c’était fini. On était sous le choc, a raconté Makdessian. On avait hâte au reste de la saison en raison de notre bon départ, nous les jeunes, on était contents de voyager et d’être traités comme des pros, tout semblait bien aller et puis, boum, tout ça a disparu. »
C’était triste sur le coup, mais les jeunes Québécois de l’équipe sont vite passés à autre chose, considérant l’aventure de l’Inter comme un heureux boni.
« J’avais 21 ans, s’est souvenu Gagnon. C’était ma première vraie expérience pro, j’avais vécu un vrai camp avec des grands joueurs, pour moi c’était quelque chose d’impressionnant, de super le fun. Même si ça n’a pas été très long, ça m’est resté.
« Je pense qu’on était tous un peu conscients du fait que ce n’était pas hyper solide, ni le club, ni la ligue (qui a fermé les portes à son tour à la fin de l’été 1983). Mais pour nous, les jeunes surtout, c’était un nouveau monde, on essayait quelque chose de nouveau, sans se poser la question si ça allait réussir ou non. On n’était pas dans ces considérations-là.
« Il faut se rappeler qu’on était dans une période où le soccer n’avait pas les assises qu’il a aujourd’hui, a noté Gagnon. Moi, je ne me disais pas à l’époque que je voulais devenir joueur professionnel et que j’attendais juste ça. Je n’allais pas dire non si ça arrivait, mais j’allais de l’avant, j’étais en plein dans mes études à l’époque.
« Donc, pour nous, ç’a été un super beau moment qu’on a vécu à plein… »
… Le temps que ça dure.