Il est d’usage commun, dans le milieu journalistique sportif canadien – centré sur le hockey, donc – de dire que la Coupe Memorial est le tournoi le plus difficile à remporter en raison du nombre de matchs qui se succèdent à un rythme rapide (quelque chose comme six en huit jours pour une équipe qui passe par le bris d’égalité pour se rendre en finale). Mais à ce titre, les championnats canadiens des clubs, organisés par Canada Soccer pour ses clubs amateurs, ne donnent pas leur place non plus.
« C’est inhumain », dit d’emblée Samir Ghrib, qui a participé aux championnats canadiens à sept reprises avec l’équipe senior masculin du Royal Sélect de Beauport, et qui a vu la formation senior féminin du club qu’il dirige en tant que directeur technique, celle de l’entraîneur Samir El Akkati, remporter l’or il y a deux semaines.
Ghrib fait allusion au fait qu’aux championnats canadiens, les matchs se suivent à un train d’enfer. En senior masculin, on parle de cinq matchs en six jours.
« C’est fou!, lance Ghrib au cours d’un entretien téléphonique avec Viau Park. En France, je pense qu’il y a des règles, des lois contre ça! »
Un tel format défie effectivement le bons sens puisque ça ne laisse aucune chance aux joueurs de récupérer physiquement.
« Ce sont des gladiateurs des temps modernes, ajoute Ghrib, en parlant des joueurs qui se livrent à cette quasi guerre d’attrition. Le niveau baisse au fur et à mesure du tournoi (au lieu de monter), ç’a un effet sur la qualité du jeu. Tu as le droit d’avoir 20 joueurs dans ta formation et tu dois vraiment y aller avec 20 joueurs, parce que tu as besoin de profondeur. L’objectif, c’est d’arriver en finale en gardant le plus de forces possible. »
Il faut donc porter attention aux moindres détails pour favoriser la récupération. Les bains de glace après les matchs, s’hydrater et se nourrir de façon rigoureuse… et savoir comment économiser ses gestes sur le terrain.
« Il faut choisir ses moments pour attaquer. Au lieu de monter quatre fois avec le ballon (dans un match), un joueur va se contenter d’y aller deux fois, par exemple », déclare Ghrib.
« Et le défi, lors du premier match (souvent une victoire assurée contre les Territoires du Nord-Ouest, par exemple), c’est de marquer le plus de buts possible, pour te donner un coussin en terme de la différence de buts, tout en s’économisant le plus possible. »
Donc, on tire de l’extérieur de la zone de réparation pour transformer une avance de 3-0 en priorité de 6-0… bonjour le spectacle et la qualité du jeu !
Puis, rendu en finale, alors que le spectacle devrait être au summum puisqu’on a alors droit en principe à un duel entre les deux meilleures équipes du tournoi, les joueurs doivent adapter leur jeu en fonction de leur niveau de fatigue.
« Le niveau devrait monter mais il ne monte pas, c’est impossible, souligne Ghrib. L’intensité des matchs no 4 et 5, c’est sûr qu’elle n’est pas la même que dans les matchs no 1 et 2. Ça devient carrément attaque contre défense (au lieu de 11 joueurs contre 11 joueurs). Tu espères marquer le premier but pour que ça devienne plus facile après. »
Les championnats canadiens s’avèrent donc une affaire d’expérience et de calcul tactique. Une équipe qui participe à ce tournoi pour la première fois mais qui cherchera à courir partout sur le terrain, comme elle l’a fait pendant l’été, va en payer le prix et risque de manquer de jus avant la fin.
« Tant que tu ne le vis pas, tu ne peux pas te le représenter, note Ghrib. Avec le temps, tu trouves des solutions pour limiter les dégâts. Comme, par exemple, t’arranger pour que certains de tes joueurs ne jouent qu’une mi-temps par match, ce qui veut dire qu’ils auront disputé deux matchs et demi à la fin, au lieu de cinq, ce qui est pas si mal. »
Pour arriver à faire ce genre de chose, il faut avoir la profondeur dont Ghrib parlait plus haut. Et dans l’équipe, il faut avoir des joueurs qui ont l’expérience des championnats canadiens, car ils auront appris comment, justement, il faut doser ses énergies au fil d’un tournoi de ce genre.
« C’est un marathon, et il faut apprendre à gérer ça, dit Ghrib. Plus tu as de l’expérience, plus tu apprends à mieux gérer tes forces. Et à passer au travers. »
Malgré le formidable fardeau que représentent les championnats canadiens sur le plan physique, le fait demeure qu’il est parfois possible d’en faire fi grâce à la dureté du mental.
« Quand on gagné l’or en 2012, un de nos joueurs a eu un carton rouge à la 25e minute de jeu en finale, commence à raconter Ghrib. Ils ont fait 1-0, mais on a créé l’égalité 1-1. Ils ont fait 2-1, mais on est revenu à 2-2. Ils ont fait 3-2, mais on est revenu à 3-3. On est allé en prolongation et a gagné aux tirs au but, tout ça après avoir disputé 95 minutes de jeu et marqué trois buts à 10 contre 11! »
Même si, vu d’un certain bout de la lorgnette, les championnats canadiens peuvent représenter un calvaire, reste qu’il s’agit d’un enivrant calvaire. Jamais, dit Ghrib, ses joueurs sont-ils allés aux championnats canadiens à reculons.
« L’avion, l’hôtel, la vie de groupe, c’est quand même excitant », indique-t-il.
Quand même, s’il y avait moyen de modifier le format pour qu’on joue ne serait-ce qu’un match de moins, ce serait fort bienvenu, dit Ghrib. Mais il semble qu’en haut lieu, on tienne absolument à faire participer toutes les provinces et les territoires dans un tournoi à la ronde.
Évidemment, impossible de tenir la compétition sur plusieurs fins de semaine, déjà que ça coûte des sommes exorbitantes aux clubs pour voyager dans notre beau mais énorme pays. Et que ça empiète déjà pas mal sur l’horaire personnel des joueurs, en terme d’heures de travail ou de cours.
Reste que Ghrib donne l’exemple des championnats canadiens universitaires, où on joue trois matchs au maximum, et le format éliminatoire commence dès le premier match. Ghrib a suggéré aux dirigeants de Canada Soccer de faire pareil, mais il semble qu’on soit réticent à mettre les équipes au bord du précipice dès le début de la compétition…
Par ailleurs, le format adopté au championnat du monde de hockey sur glace de la Fédération internationale pourrait être une piste intéressante. Dans ce cas-là, des pays comme la France et l’Allemagne doivent jouer dans la division B, et y exceller, avant d’être promus à la division A et obtenir le droit de jouer contre le Canada, la Russie et la Suède. Pourquoi pas adopter une approche semblable aux championnats canadiens pour raccourcir la portion tournoi à la ronde?
Oui, c’est vrai, les TNO n’affronteraient plus l’Ontario, mais ceux-ci y gagnent-ils vraiment à force de perdre 12-0 à chaque année? Ne serait-ce pas mieux pour leur développement que leur adversaire le plus formidable soit le Manitoba, par exemple, et que c’est seulement après avoir remporté le tournoi B, au bout de plusieurs années d’efforts et de travail fructueux en terme de développement, qu’ils puissent ensuite se frotter aux meilleures provinces du pays?
Et disputer, en cours de route, un nombre « humain » de matchs?
Après tout, si on fait du sport, c’est parce qu’on place l’humain au centre de nos préoccupations, non?