On le sait, l’histoire ne retient que le nom des gagnants. C’est encore plus vrai quand il s’agit de l’histoire du soccer au Québec. Non pas qu’on ait ignoré volontairement de nommer les seconds violons, mais les recherches effectuées jusqu’à présent sont principalement restées en surface et consistaient généralement à établir les grandes lignes des championnats du passé. Dans un tel contexte, pas étonnant que les équipes étant passées à deux doigts de la gloire restent largement inconnues alors que celles qui ont raflé les trophées les plus prestigieux nous soient plus familières. Parmi elles, une équipe se distingue particulièrement : le Lyall Football Club.
À l’aube du championnat 1914, la quatrième division se prépare à une saison occupée. Pas moins de douze équipes prendront part au championnat. Parmi elles, l’équipe de la Canadian Vickers, chantier naval nouvellement installé à Maisonneuve, en sera à ses premiers pas. Aussi, Lachine, pensionnaire de première division et finaliste du tout premier championnat national la saison précédente, a prévu y aligner son équipe réserve. Or, quelques jours avant le début de la saison, un conflit éclate entre les dirigeants de Lachine et ceux de la Province of Quebec Football Association (PQFA). Les jaune et noir désirent utiliser leur équipe de quatrième division comme une réelle équipe réserve, et donc pouvoir y envoyer ou y puiser des joueurs comme bon lui semble. Du côté de la PQFA, le refus est catégorique : « Lachine II » devra se conformer aux règlements sur les transferts. Vu l’inutilité pour Lachine de gérer deux équipes indépendantes, les « Wasps » abandonnent le projet. La PQFA devra donc remplacer Lachine II au pied levé. Heureusement, une solution se présente rapidement : l’entreprise de construction Peter Lyall & Sons propose de constituer une équipe pour occuper la place subitement libérée.
Le nom de Peter Lyall est déjà connu dans le milieu du soccer québécois. En 1905, le riche entrepreneur offre un trophée qui sera remis au vainqueur de la Caledonia Cup, jouée chaque année dans le cadre des Caledonia Games. C’est d’ailleurs le premier trophée permanent de l’histoire de cette compétition, soit la première coupe qui sera continuellement remise en jeu et non conservée par la première équipe à la remporter trois fois. Cette fois, son entreprise se lance dans la compétition. Quelques jours seulement après le désistement de Lachine II, le Lyall Football Club monte sur le terrain, habillé de jaune et de noir. L’histoire ne dit pas s’il s’agit des uniformes abandonnés par Lachine II…
Des débuts modestes
Malgré l’improvisation et le peu de temps pour constituer une équipe, Lyall aligne une équipe de bon niveau. Si la Canadian Vickers épate la galerie, le Lyall FC ne traîne pourtant jamais très loin derrière en championnat, et bien que l’équipe peine dans les compétitions de coupe, elle sera tout de même parmi les promus en troisième division au terme du championnat. En 1915, Lyall reste toujours dans le sillon de Vickers, mais cette fois, elle connaît un certain succès dans les compétitions de coupe, remportant notamment quelques victoires notables : sa première réussite vient dès la première ronde de la Charity Cup au mois de mai, alors que les « Lyalls » écartent le Nomads FC, pensionnaire de seconde division et champion en titre de la D3. La semaine suivante, Lyall bat Vickers 2-1 en première ronde de la Connaught Cup, qui donne accès au championnat national. Lyall atteindra cette année-là la troisième ronde du tournoi, où les Locomotives stopperont son parcours (2-1). Et finalement, en Coupe du Québec, les jaune et noir écarteront en première ronde… les autres jaune et noir; Lyall reçoit Lachine et défait l’équipe de première division 1-0. Son parcours se termine toutefois à la ronde suivante, aux mains de l’Invicta FC, éventuel champion de D2 cette année-là. Dès lors, Lyall sort de l’ombre… mais pas de celle de Vickers, champion de D3 et promu en D2, suivi par Lyall et Standard Chemicals.
1916, les premiers grands succès
La saison 1916 restera gravée dans les annales comme étant celle de l’éclosion de la rivalité entre Vickers et Lyall. Les « Shipbuilders » et les « Builders » se livrent des luttes acharnées sur tous les tableaux. Tout d’abord en championnat, mais aussi, et surtout, en coupes. Les deux belligérants, chefs de file des « nouveaux » clubs qui montent et bousculent les anciens, sont sélectionnés par la PQFA pour disputer la Caledonia Cup le 24 juin; le vainqueur de la coupe la saison précédente n’y est pas, la Montreal Amateur Athletic Association ayant stoppé ses activités en raison de la Grande Guerre. L’affiche est grandiose et attire tous les regards; Vickers l’emporte 2-0. Le 5 août, c’est en demi-finale de la Charity Cup que Lyall et Vickers croisent le fer. Cette fois, les « Builders » l’emportent 2-1 après prolongation, non sans controverse, puisqu’un but refusé à Vickers pour un hors-jeu nébuleux en première mi-temps avait soulevé l’ire des supporters des Shipbuilders présents à l’Alexandra Park. Lyall accède à la finale et devra faire face à l’Invicta FC, qui l’avait éliminé en Coupe du Québec l’année précédente. Le 26 août, Lyall retrouve donc la pelouse du stade de Grand Trunk et à la surprise générale, démolit l’équipe de première division par le score de 4-0, grâce à des buts de Gordon, Shipley (2) et Forrest. Lyall soulève son tout premier trophée sous le bruit assourdissant de ses nombreux supporters, armés de klaxons et de crécelles!

Et ce n’est pas tout! En parallèle, Lyall entreprend une chevauchée mémorable en Coupe du Québec, se permettant même d’écarter des valeurs sûres comme Sons of England et Grand Trunk pour aboutir en finale… face à Vickers. Le 7 octobre, les deux rivaux se retrouvent à l’Alexandra Park. Après un match chaudement disputé, les deux équipes se quittent sur un match nul de 1-1. Le match est repris le 21 octobre, au même endroit. Vickers prendra les devants 2-0 en première mi-temps, mais l’esprit combatif qui fait la réputation de Lyall ne perd pas de temps à ressortir : les jaune et noir marquent deux fois en succession rapide et amènent Vickers dans les cordes… avant que Woodside, le gardien de Lyall, ne marque dans son propre but, tout ça en cinq minutes de jeu! En avant 3-2 à la pause, Vickers ajoutera un quatrième but en milieu de seconde mi-temps et soulèvera sa toute première Coupe du Québec. En championnat, Vickers prévaudra, devant Lyall, et pour la première fois depuis leurs débuts, les deux clubs évolueront dans deux divisions différentes la saison suivante, Vickers étant le seul promu au plus haut échelon du soccer québécois. Vickers se démarque, oui, mais Lyall a réussi en 1916 un exploit peu fréquent : jouer toutes les finales de coupe possibles (NDLR de 1916 à 1918, la Coupe Connaught n’est pas disputée, la Dominion Football Association décidant de la suspendre en raison de la Grande Guerre).

1917, Lyall s’impose
En 1917, Lyall se remet au boulot avec un objectif bien précis : monter en Senior League. Et les « Lyalls » affichent clairement cette ambition en coupe. En Charity Cup, les Builders éliminent un club de Senior League lors des deux premières rondes (Canadian Pacific Railways et Sons of England) avant d’être invités à prendre sa revanche en Caledonia Cup face à Vickers, le 23 juin. Cette fois, c’est la bonne : Lyall éclate son rival 4 buts à 1 et soulève la Coupe… Lyall. Retour immédiat en Charity Cup, où en demi-finale Lyall écarte un autre club de Senior League, Locomotives (qui finira champion de D1 cette année-là), cette fois après avoir dû trimer dur pendant trois matchs! Mais peu importe, puisqu’en finale, c’est encore fois Vickers qui attend! Le 14 juillet, probablement gonflé à bloc par son triomphe en Caledonia Cup, Lyall ne donne rien et bat par deux fois le gardien adverse pour conserver la Charity Cup! Lyall aura donc battu quatre clubs de Senior League avant de soulever le trophée.
S’amorce ensuite la Coupe du Québec et étrangement, c’est encore le CPR qui fera les frais de Lyall en première ronde. Un signe? Lyall écarte Rosemont (D2) puis Invicta (D1) pour se hisser en finale… face à Vickers? Non, pas cette fois. Lyall retrouvera plutôt les durs à cuire des Locomotives. Incroyable, mais vrai, Lyall aura participé à toutes les finales lors de deux saisons consécutives! Le 22 septembre, les deux équipes se retrouvent donc pour se disputer le trophée, et tout comme en Charity Cup, personne n’aura le dessus lors du premier match. Replay! Une semaine plus tard, Lyall tombera lourdement, battu par la marque de 4-1. Or, en championnat, maintenant que Vickers n’est plus là pour faire de l’ombre, tout va pour le mieux : Lyall terminera le championnat de D2 en remportant chacun de ses 14 matchs, marquant au passage 57 buts et encaissant seulement huit fois! Et hop, en Senior League!

1918, nez à nez avec les meilleurs
En 1918, Lyall amorce donc sa première saison dans l’élite et retrouve ses vieux camarades de la Canadian Vickers dès son tout premier match, qu’elle remporte 3-1. Et l’équipe ne s’arrête pas là : elle remportera ses cinq premiers matchs de championnat, marquant 21 buts et n’encaissant que deux fois. Fort de ses deux triomphes consécutifs en Charity Cup, le Lyall FC amorce le tournoi de 1918 en lion en battant le Great War Veterans FC (nouveau club de Senior League érigé sur les fondations de l’Invicta FC) par la marque de 5-1. Lyall s’active ensuite en Caledonia Cup, qui délaisse cette année-là sa formule de finale sur invitation pour adopter un format un peu particulier de tournoi avec éliminatoires par district. Lyall y croise de nouveau la route de Vickers, cette fois en demi-finale, mais ne fait qu’une bouchée de son rival en l’écartant 5-2. Le 22 juin, Lyall, tenant de la coupe, affronte Grand Trunk en finale, mais les Trunks ont le dessus 2-0, marquant ainsi le prélude de leur fantastique campagne 1919. De retour à la Charity Cup, et encore une fois, Lyall poursuit son chemin jusqu’en finale, où il lui faudra deux matchs pour venir à bout de Sons of England, l’emportant 2-1 après prolongation dans le second match, le 20 juillet. Ce troisième triomphe consécutif en Charity Cup signifie aussi que depuis la création de la compétition en 1914, c’est la première fois qu’un club de Senior League remporte le trophée!

Quelques semaines plus tard s’amorce la Coupe du Québec. Après avoir échoué deux fois de suite en finale, la troisième tentative sera-t-elle la bonne pour Lyall? Les jaune et noir ont bien l’intention d’aller jusqu’au bout cette fois et amorcent le tournoi sur les chapeaux de roue en terrassant Sons of Scotland par la marque de 7-2. Ironiquement, tout comme Lyall avait si souvent réservé ce sort à des clubs de Senior League dans les années précédentes, c’est un club d’une division inférieure qui sonnera le glas des jaune et noir cette année-là. Au second tour, le Nomads FC, alors en seconde division, se rend au domicile de Lyall, le terrain du Lower Canada College, et en revient avec le scalp du club de Senior League, arraché 2 buts à 1. Tristement, en 1918, une épidémie de grippe espagnole force l’arrêt du championnat, qui ne sera jamais terminé, alors que Lyall est troisième, à cinq points de la tête et de Grand Trunk, mais avec trois matchs en main…
Le déclin
Par la suite, avec la fin de la guerre, les cartes seront mélangées dans le monde du soccer québécois. De nombreux joueurs talentueux reviendront du front, de nouvelles équipes apparaîtront et Lyall ne sera plus jamais cette redoutable horde de guerriers des coupes. Un dernier soubresaut amènera Lyall en demi-finale de la Coupe Connaught en 1919, mais les Royal Highlanders les écarteront 4-2. Ensuite, Lyall s’éteindra paisiblement jusqu’à sa disparition complète au terme de la saison 1921 avec à son palmarès trois triomphes en Charity Cup et une Caledonia Cup.
Et Vickers? Les Shipbuilders gagneront leur seconde Coupe du Québec en 1918, puis s’adjugeront le championnat de D1 en 1943 et 1944 avant d’à nouveau soulever la Coupe du Québec en 1949, 1952, 1953 et 1954 et de s’inscrire définitivement dans la légende. Le club vivra son déclin peu après avant de disparaître au début des années 1960.