Fin du synthétique à Rosemont : l’histoire n’est pas finie

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Si François William Croteau, maire de l’arrondissement montréalais de Rosemont-La Petite-Patrie, continue de refuser de financer des nouveaux terrains de soccer en gazon synthétique pour des raisons nébuleuses – et en apparence dogmatiques – et, surtout, s’il continue de refuser de rencontrer les dirigeants de l’Association de soccer de Rosemont-La Petite-Patrie (ASRPP) afin d’explorer d’autres scénarios qui pourraient répondre à ses inquiétudes de nature environnementale, le dossier pourrait se retrouver bientôt dans de plus hautes sphères politiques.

Pour l’instant, le dossier reste d’envergure locale, alors que le terrain du parc de la Louisiane (en gazon naturel sur les ailes et en synthétique dans l’axe) doit être refait. L’ASRPP, en principe, aimerait bien un terrain synthétique nouveau genre afin de mieux répondre à la demande, elle qui doit déjà refuser des inscriptions en raison d’un manque d’installations (et d’une offre sportive à ce titre qui est déjà une des pires parmi les arrondissements de la ville de Montréal d’avant les fusions). Le maire Croteau, lui, a décrété qu’il s’agira d’un terrain naturel, en affirmant qu’il est primordial de lutter contre le réchauffement climatique et que les terrains synthétiques représentent des îlots de chaleur qui sont nuisibles à cet égard.

Les dirigeants de l’ASRPP partagent cette inquiétude, mais se questionnent sur le réel degré de nuisibilité des terrains synthétiques, et ils se demandent pourquoi d’autres options visant à lutter contre les îlots de chaleur ne semblent pas avoir été envisagées.

L’ASRPP a donc voulu rencontrer le maire Croteau afin de regarder ensemble s’il y aurait des alternatives, mais ce dernier refuse de le faire.

Voilà, en gros, un résumé de ce dossier fort complexe. Qui, comme on l’a mentionné au début, risque de se retrouver en plus haut lieu.

En attendant la prochaine étape, Viau Park s’est entretenu avec des intervenants du soccer susceptibles de nous éclairer sur le sujet.

« Dans notre situation actuelle, localement, il en manque (déjà des terrains) et là, la première génération de nos terrains qui ont été construits, ils vont avoir besoin d’être refaits, a indiqué Yves Deschênes, directeur général de l’ASRPP. Qu’est-ce qu’ils vont mettre dessus si on peut pas remettre un tapis synthétique ? »

S’il faut en croire Croteau, il s’agira de terrains naturels qui, en principe, peuvent être utilisés une quinzaine d’heures par semaine. Et pas beaucoup plus même dans le cas de « super » terrains naturels, comme le maire de l’arrondissement a promis de bâtir. Tandis qu’un synthétique peut servir 60 heures par semaine…

Donc, plus l’arrondissement bâtira de terrains naturels, plus l’ASRPP se retrouvera en déficit d’heures qu’elle pourra donner à ses inscrits.

« Tout à fait, a reconnu Deschênes. Dans un monde idéal, on aurait une combinaison d’installations synthétiques et naturelles, ce qui fait qu’on ménagerait les naturels et quand on aurait besoin de volume (durant un tournoi, par exemple), on irait sur les synthétiques.

« Déjà, en 2018, 30 % des matchs à domicile de nos équipes compétitives, on les a joués à l’extérieur de notre arrondissement parce qu’on n’a pas assez de terrains… »

L’ARSC et la FSQ aux aguets
Devant le refus du maire Croteau de rencontrer l’ASRPP, celle-ci a organisé une manifestation devant le bureau de l’arrondissement, lundi le 12 août dernier. Gaston Tremblay, le président de l’ARS Concordia, et Pierre Marchand, président de Soccer Québec, étaient présents et ils ont assisté au conseil d’arrondissement qui a eu lieu ce soir-là.

L’ARSC et la FSQ sont donc déjà aux aguets.

« Ce que nous craignons, c’est le précédent, a noté Deschênes. On craint que la position du maire Croteau et de son conseil fasse boule de neige. Et que l’ensemble des arrondissements qui sont du même parti se disent : ils l’ont fait à Rosemont, on va le faire nous aussi.

« Ça va donc monter plus haut, si je peux dire ça comme ça. Maintenant qu’on a eu une fin de non recevoir du maire Croteau, nos amis au niveau régional vont prendre le relais, et on a aussi l’appui de Soccer Québec. Pour notamment vérifier si la position du maire Croteau est appuyée au niveau de la ville centre. »

« On est préoccupé par la position de l’arrondissement RPP, on est en mode soutien et on surveille ça d’un œil attentif, a fait savoir Mathieu Chamberland, directeur général de la FSQ, à Viau Park. On ne peut pas être indifférent (à l’argument de la lutte contre les îlots de chaleur), mais ça prend des études. On a relayé tous les renseignements que nous avons pour l’instant à cet égard à (Deschênes), qui fait du très bon travail dans ce dossier. »

« Malheureusement, on est obligé de faire beaucoup d’efforts parce qu’on a quelqu’un (Croteau) qui ne veut pas discuter, qui se dit prêt à nous tendre la main, mais en autant qu’on va de son côté et qu’on le suive dans ses décisions, qui ne sont pas appuyées par les documents qui devraient être là dans une pareille démarche », a quant à lui fait remarquer Tremblay, qui dit avoir l’appui aussi des autres ARS de l’île de Montréal.

« La première démarche que j’ai faite, c’est de m’adresser à mes confrères du Lac St-Louis et Bourassa au dernier conseil d’administration de Soccer Québec et je leur ai demandé leur position, a indiqué Tremblay. Ils sont à la même place que nous. On n’est pas prêt à accéder à une décision comme celle-là d’un maire d’arrondissement sans avoir quoi que ce soit à l’appui.

« On partage un objectif commun, qui est de faire la lumière dans ce dossier avec une analyse scientifique indépendante. Je le répète, on ne veut pas mettre la vie des jeunes en danger, mais on veut savoir où on s’en va.

« D’ailleurs, on a fait une démarche d’accès à l’information pour voir sur quoi le maire s’était basé. Le maire n’a aucune analyse scientifique dans son dossier, et j’irais jusqu’à dire, je ne suis pas sûr qu’on a vu dans son dossier une recommandation de son service des loisirs (qui va dans le même sens que le maire).

« En même temps, on se rend compte que la ville de Montréal a établi une politique pour déterminer si elle devait faire des naturels ou des synthétiques, et dans cette politique-là, ils font référence à des analyses scientifiques. Donc, il semble que l’arrondissement n’a pas d’analyses, mais la ville centre en a.

« Le club, l’ARS et Soccer Québec sont très conscients des impacts potentiels de cette décision du maire Croteau, tant au niveau local, régional que provincial, et on va tout faire en notre pouvoir pour exiger qu’il y a ait une nouvelle vision, sur la base de la science et de la rigueur, et non pas sur des impressions et des opinions personnelles non documentées et non prouvées », a par ailleurs dit Tremblay.

« Dans notre demande d’accès à l’information, on a reçu quelque chose comme 25 documents différents et il n’y a absolument rien, à part un texte qui a été tiré d’un site internet, qui vient appuyer tout ça de façon scientifique, alors que dans son discours aux médias, il y va d’envolées sur la hausse de la température (émanant des synthétiques) – ce qui est exact, on ne renie pas ça », a affirmé Deschênes.

Celui-ci déplore toutefois l’absence dans les dossiers du maire d’une étude faite en 2018 par l’administration municipale sur l’état des infrastructures extérieures, faisant notamment état du fait que la ville peine à bien entretenir ses terrains sportifs en gazon naturel.

« D’avoir une position aussi campée à l’opposé, en faisant abstraction de ce document-là qui est un document de la ville, on est comme (interloqué), a déploré Deschênes. A-t-on regardé ce que les fonctionnaires disent au niveau du coût de l’entretien des naturels, ainsi de suite? Non seulement au niveau de la fabrication, mais de l’infrastructure nécessaire, de l’irrigation et tout ça, d’une part, et ensuite l’entretien périodique? Il y a un maillon manquant. »

« Lors d’une entrevue à la radio de Radio-Canada, sur le plan des relations avec le club, (Croteau) a avancé des choses qui sont inexactes, à l’effet que la porte était ouverte et qu’il avait tendu la main au club, alors qu’il n’a même pas voulu nous rencontrer au départ, a souligné Deschênes. C’est pour ça qu’on a été obligé de faire une manifestation et de lancer la campagne médiatique actuelle.

« Il y a eu une fin de non-recevoir en réponse à une communication écrite de notre part et là, devant les micros, il dit, ah, je tends la main au club, bla bla bla…

« Quand un leader politique arrive et dit que de toute façon, si on ne fait rien (pour lutter contre le réchauffement climatique), dans 15 ans il n’y aura plus personne pour jouer sur les terrains de soccer, à un moment donné… Oui, la situation est alarmante, mais… »

« C’est sûr qu’actuellement, l’ARS, au niveau des préoccupations de l’arrondissement au niveau des îlots de chaleur, on partage leurs préoccupations, a réitéré Tremblay. Par contre, il ne faut pas isoler ce dossier-là, je pense qu’il faut le voir dans une démarche globale de développement durable, bien au-delà du seul aspect dans lequel le maire semble vouloir se camper. D’autant plus que pour remplacer chaque terrain synthétique (en terme d’achalandage), ça va prendre au moins quatre ou cinq terrains naturels. Donc, à un moment donné, il faudrait faire le point.

« Le club a demandé deux fois à rencontrer le maire de l’arrondissement, a ajouté Tremblay. (L’ASRPP) l’a demandé une fois seul, et demandé une autre fois avec nous dans le but de discuter des alternatives, des pistes de solution. Pour qu’on parle de granules blanches (dans une surface synthétique), qu’on parle de liège, qu’on parle de mettre des arbres autour du terrain (pour compenser la hausse de température sur le synthétique), pour regarder quels en sont les impacts et ainsi de suite… Il n’a même pas voulu nous rencontrer.

« À un moment donné, (Croteau) nous a pratiquement accusé d’être responsable des 69 morts qu’il y a eu dans la canicule l’été passé, à cause dit-il des ‘vapeurs toxiques’ qui sortent des terrains… Et puis, le maire dit qu’il tend la main au club… Mais il tend la main au club en autant que le club reste dans sa vision d’un ‘super terrain naturel’, sans qu’on sache c’est quoi un super terrain naturel…

« L’Impact, il en a un, (un super terrain naturel) mais il n’a pas été beau avant la fin du mois de juin. »

L’ARSC et l’ASRPP sont également préoccupés par les quelques élans démagogiques du maire, qui a par exemple affirmé que le combat contre le réchauffement climatique est bien plus important que l’activité physique, qui permet pourtant de combattre l’obésité et la délinquance chez les jeunes.

« Sa première réaction, quand on lui a écrit, c’est que c’était déjà beau qu’il nous fournissait un local gratuitement », a indiqué Tremblay.

On se demande même si on n’est pas en train de se buter à une vieille forme de snobisme à l’endroit du sport, à savoir qu’il ne s’agit pas d’une philosophie de vie aussi noble que d’autres. Sur ce sujet, on réfère le maire Croteau aux écrits d’un certain Pierre Foglia.

Ce que veulent l’ASRPP et l’ARSC
« Ce que le club a demandé, c’est de mettre ça en veilleuse et d’obtenir une analyse indépendante pour supporter une décision éclairée dans le cadre d’un développement durable, a indiqué Tremblay. On ne veut pas empirer les îlots de chaleur, mais on veut avoir des spécialistes qui se prononcent. »

« Les arguments auxquels ils font référence datent déjà de quelques années, a pour sa part noté Deschênes. Depuis, il y a le liège qui est apparu (comme alternative), il y a d’autres trucs que le caoutchouc de pneu, et il y a même une surface hydride artificielle et gazon naturel qui existe (où les deux composantes sont mélangées sur toute la surface).

« C’est pour ça qu’on a dit, est-ce qu’on peut se rencontrer et demander à des experts indépendants, c’est quoi ces nouveautés-là… Si ce sont juste des arguments commerciaux par les fabricants de surfaces, OK. Sinon, s’il y a un peu de bon sens là-dedans, est-ce qu’il y aurait moyen de regarder tout ça, de déterminer si un terrain autre que naturel pourrait arriver à un effet zéro en terme d’îlots de chaleur? Les procédés de fabrication évoluent, alors est-ce qu’on peut avoir des avis d’experts là-dessus? Parce que (Croteau), lui, il n’en a pas.

« Demandons à des experts indépendants et on aura l’heure juste. »

« (Croteau) nous a parlé de terrains bien drainés, où on pourrait peut-être jouer deux fois plus (que les 15 heures par semaine habituelles sur gazon naturel ordinaire). Mais vous savez, avec la reconnaissance des clubs, quand on regarde ce qui s’en vient, quand on va arriver avec un travail par ateliers, avec quatre groupes de 20 joueurs sur un même terrain en même temps… Le terrain naturel, il ne fera pas long feu. »

« On sait qu’on est à Montréal, a souligné Tremblay. Avec les espaces (limités) qu’on a, maximisons ceux qu’on a, construisons comme il faut et pensons aux impacts des îlots des chaleur. Mettons de la forestation autour, et utilisons des bons matériaux. S’il faut mettre de la granule blanche, déjà c’est différent, j’en suis convaincu. En Europe, ils parlent de liège… Et après ça, ça se recycle ces terrains-là, Soccer Québec a refait ses terrains et ils ont récupéré les granules qu’il y avait dedans et après, le gazon a été recyclé. On n’est plus où on en était il y a 10 ans. »

Francis Millien, actuel vice-président de Soccer Québec qui a longtemps été le grand responsable des terrains sportifs à la ville de Montréal, suggère qu’une chose aussi simple qu’arroser un terrain synthétique avant son utilisation permet de faire baisser sensiblement la chaleur qui émane de la surface.

« Les gens peuvent donc jouer dessus et tu n’as rien abîmé du tout, bien au contraire, a déclaré Millien à Viau Park. On le voit souvent au hockey sur gazon, qui joue sur des terrains synthétiques, au foot aussi. Ça évite les surcroîts de chaleur et tu peux le faire (arroser) n’importe quand. »

Les terrains naturels, un rêve impossible?
Personne n’étant contre la vertu, partons de la prémisse qu’effectivement, la meilleure solution en théorie est de jouer sur du naturel. D’ailleurs, c’est ce que préfèrent les athlètes professionnels.

Un terrain naturel… mais entretenu de façon impeccable.

Et un terrain naturel impeccable, ça implique un travail de suivi très assidu, pour ne pas dire maniaque. Il suffit de lire l’article d’Olivier Tremblay pour le site web de l’Impact de Montréal, publié il y a trois ans, pour s’en convaincre.

Le maire Croteau sait-il vraiment à quoi il s’engage, et à quoi il engage ses cols bleus, quand il affirme être pro-naturel à 100 %?

« En 2018, la ville a sorti un document sur l’état des terrains sportifs extérieurs, et le constat, c’est qu’il y a quelque chose comme 20 % des terrains qui sont en bon état, tout le reste étant en état moyen ou pitoyable, a noté Deschênes. Il y a tellement de rattrapage à faire là-dessus! »

Millien confirme que pour maintenir le même niveau de service aux sportifs, chaque terrain synthétique qu’on élimine devra être remplacé par cinq ou six terrains naturels.

« Indépendamment du travail supplémentaire qui serait demandé (aux cols bleus), et dont la bonne volonté ne suffit pas toujours, il y a le nombre d’heures d’utilisation et le risque d’endommager le terrain, a indiqué Millien. Quand tu joues après une pluie, ou à l’automne, tu joues sur des terrains un peu plus boueux ou autre, et dans la nuit ça gèle, puis le lendemain c’est tout plein de bosses, et les enfants qui viennent jouer dessus peuvent se tourner les chevilles, tomber, etc. »

Autrement dit, un terrain naturel, ça peut s’abîmer sérieusement du jour au lendemain… littéralement. En attendant que les cols bleus arrivent au secours (vont-ils vraiment accourir dès le lendemain?), on fait quoi avec les matchs prévus?

« Donc tu as cet aspect sécurité pour les utilisateurs, raison pour laquelle le synthétique répond beaucoup mieux… Et la durée d’utilisation d’un terrain synthétique peut s’étirer du printemps jusqu’à l’automne, (tandis qu’avec les naturels), les gens viennent courir sur les terrains (hors saison) avec ou sans permis. Donc, les terrains naturels sont dégradés, comme ils l’ont toujours été, alors que le synthétique va tenir beaucoup plus longtemps.

«Le synthétique, ça peut servir 60-70 heures par semaine, tandis qu’un terrain naturel, c’est une dizaine d’heures, mais dans des conditions (optimales). Quand il fait beau, quand il pleut pas trop, quand il fait pas trop chaud… Mais aussitôt que le terrain naturel est susceptible d’être endommagé, tu dois le réparer ou tu ne peux plus l’utiliser. »

Voilà, maintenant vous connaissez la position de l’ASRPP et de l’ARSC que le maire Croteau refusait d’entendre. À noter par ailleurs que l’ARS Concordia répertorie les reportages qui ont été diffusés sur ce sujet sur son compte Facebook, appelé ARS Concordia.