À l’époque où Nevio Pizzolitto était aux commandes de la défense de l’Impact de Montréal, chaque fois que son nom était mentionné en présence de Pascal Cifarelli, mon patron au magazine Québec Soccer, celui-ci faisait toujours la même remarque : « Vous savez, son père a lui aussi été un très bon joueur. »
Un très bon joueur qui a joué aux plus hauts niveaux québécois dans les années 1960 et 1970, et même au-delà, dans des ligues de vétérans.
Un numéro 10, dit Luigi Pizzolitto quand on lui demande de se décrire comme joueur.
« J’ai marqué beaucoup de buts. »
Comme Ignacio Piatti!, lui lance-t-on alors.
« Exactement! Moi aussi, je partais de la gauche et j’allais au but… »
Luigi Pizzolitto précise toutefois que le calibre de jeu de la MLS, à l’heure actuelle, est supérieur à celui des équipes québécoises des années 1960.
« Mais c’était du niveau de la USL à l’époque où Nevio y évoluait avec l’Impact (dans les années 2000) », a-t-il estimé lors d’un entretien avec Rétrosoccer.
Le niveau était élevé parce que les équipes, qui représentaient les différentes communautés culturelles à Montréal, comptaient encore sur des joueurs de talent, des immigrants qui venaient s’installer ici pour des raisons professionnelles, pour y travailler et ainsi offrir à leurs familles un meilleur niveau de vie… et qui parfois, par hasard, avaient évolué comme footballeurs en première ou deuxième division dans leur pays d’origine.
Rendu au milieu des années 1960, ceux-là étaient moins nombreux qu’au cours des années 1950, mais il y en avait encore, et ils venaient se greffer aux joueurs d’ici qui jouaient pour le plaisir, eux aussi des immigrants récents, qui en faisaient leur loisir, leur passe-temps, pour socialiser, pour la fierté de représenter sa communauté. Parce qu’ils avaient joué au foot dans leur pays d’origine, plus jeune, ou parce que leur père l’avait fait.
Luigi Pizzolitto, lui, avait 13 ans quand sa famille s’est installée à Montréal.
« Je jouais dans le parc – parce que lorsque tu viens d’Europe, tu joues tout le temps au soccer! Et il y avait un type qui recrutait les jeunes qui jouaient dans le parc, a-t-il raconté. Il m’a demandé si j’étais intéressé à jouer (dans une équipe organisée), si je voulais aller avec eux… »
C’est ainsi que Pizzolitto a joué pour les Whitecaps pendant six ans. Puis, à 19 ans, il s’est retrouvé chez les seniors avec Superga… à jouer avec les meilleurs de sa communauté, contre les meilleurs des autres communautés. Les équipes étaient soutenues financièrement par des hommes d’affaires, qui s’investissaient ainsi dans la vie de leurs communautés respectives, au sens propre comme au sens figuré.

Et Luigi Pizzolitto faisait plus que tirer son épingle du jeu dans ce contexte. Quand Sam Berger, propriétaire des Alouettes de Montréal de la Ligue canadienne de football, a décidé de lancer une équipe de soccer dans la Ligue nord-américaine de soccer au début des années 1970 – la même ligue que le Manic, mais qui avait bien moindre envergure puisque c’était avant l’arrivée de Pelé au Cosmos de New York –, Pizzolitto a été recruté pour faire partie de l’équipe. Au bout du compte, il n’a disputé qu’un match.
« J’ai fait tout le camp d’entraînement, je suis allé disputer un match à Atlanta, on avait perdu 2-1, a raconté Pizzolitto, qui a par ailleurs été sélectionné en Équipe du Québec. L’Olympique m’a offert un contrat, je ne me rappelle plus le montant, mais ce n’était probablement pas grand-chose. J’ai refusé, parce qu’au même moment, je lançais mon entreprise (Fer ornemental Spanish, qui existe toujours aujourd’hui à Saint-Léonard) et je ne pouvais pas laisser ça de côté. »
Car avec l’Olympique, Pizzolitto serait devenu joueur professionnel, ce qui veut dire qu’il lui aurait fallu s’entraîner quotidiennement et se consacrer à temps plein à l’équipe. Tandis qu’avec son équipe amateure, il pouvait s’occuper de son entreprise et continuer à pratiquer le sport qu’il adorait, à un niveau quand même assez élevé. Avec le Superga surtout, qui appartenait à Rocco Furfaro et était dirigé par Tony Como, mais aussi le Cantalia, le Montreal Italia…
« Superga, ils voulaient payer certains joueurs, quelque chose comme 50 $, 70 $, 100 $ par match… Mais moi, je n’en avais pas besoin de ces 50 $, je disais à Rocco, s’il vous plaît, garde l’argent. Je savais que pour lui (financer l’équipe), c’était une grosse fatigue. Il avait un restaurant et il prenait l’argent pour le mettre dans l’équipe. Quand même à la fin de l’année, quand il faisait une petite fête, il me donnait un cadeau, comme une montre. »
Et c’était bien correct comme ça.
Ce qui était bien correct aussi, c’est que certains matchs, ceux qui étaient les plus attendus, attiraient de belles foules.
« Avec le Montreal Italia, on avait joué contre Toronto au parc Jarry. Il y avait eu 5000 spectateurs, je m’en rappellerai toujours. J’avais marqué le seul but du match, a raconté Pizzolitto. (Pascal) Cifarelli en avait parlé dans le journal, le Montreal Sport! J’ai encore la photo… »
Ce qui était moins correct – mais c’était dans la mentalité du temps –, c’est que les matchs disputés entre communautés culturelles, donc les Italiens contre les Grecs ou les Portugais, faisaient en sorte que l’intensité des matchs dépassait parfois les bornes.
Par exemple, c’est ainsi que Pizzolitto, en tant que joueur susceptible de marquer des buts, était parfois ciblé par l’adversaire, et victime de coups sournois.
Et ça dépassait aussi les bornes en dehors du terrain.
« Des fois, on avait peur d’aller jouer, a-t-il dit. Au Fletcher’s Field, à Mont-Royal, contre les Grecs… Et pauvres arbitres, je ne sais pas comment ils faisaient pour avoir le courage de venir! Ils n’avaient droit à aucune protection. J’ai déjà vu, après qu’il y ait eu de la bagarre, un monsieur prendre un gallon d’eau et aller frapper quelqu’un à la tête. »
Et même certains matchs sans violence n’étaient pas toujours faciles…
« Quand on allait en Ontario, les arbitres étaient toujours contre nous, a par ailleurs raconté Pizzolitto. Je me rappelle qu’on partait en autobus le samedi matin, à quelque chose comme six heures, on jouait le match, puis on retournait dans l’autobus dormir pendant le retour. Quelle vie! Après, le lendemain, il fallait travailler. »
Quelle vie, effectivement. Mais qui a laissé de beaux souvenirs et permis de tisser des liens indélébiles.
« On était une famille. On était fier de notre chandail, des gens avec qui on jouait. On ne jouait pas pour l’argent, on jouait pour les amis, après les matchs on allait prendre une bière ensemble… »
Ce qui, tout le monde le sait, est la plus belle ‘paye’ de toutes. Même pour les joueurs professionnels d’aujourd’hui, qui gagnent un petit peu plus que 50 $ par match…