Elle détestait Gordon Hill. Parce qu’elle adorait Chris Chueden.
Gordon Hill, c’était la vedette du Manic de Montréal. Le buteur attitré de l’équipe. Le favori de bien des fans.
Chris Chueden, c’était un jeune et fougueux attaquant qui réchauffait le banc jusqu’à ce qu’Eddie Firmani lui demande d’aller remplacer Hill sur le terrain.
Donc, pour Brigitte Lépine, qui était alors une adolescente, Hill était celui qui la privait du plaisir de voir Chueden jouer pendant tout un match, au lieu d’un petit cinq minutes de rien du tout en fin de rencontre.
« (Chueden) n’était pas super bon, mais dans ma tête d’ado, il était impressionnant parce qu’il courait partout, il arrivait dans le match frais et dispos au moment où les autres étaient morts de fatigue, alors il lui arrivait souvent de marquer… Je l’aimais beaucoup », a indiqué Lépine lors d’un entretien avec Rétrosoccer.
« Mais vu qu’il était le remplaçant de Gordon Hill, il ne jouait jamais. Et moi, je voulais qu’il joue. Hill était un peu vedette et ça me tombait sur les nerfs. À un moment donné, Hill avait fait une petite crise, en disant qu’il était le meilleur, et je m’étais fâchée contre lui.
« Quand j’achetais mon billet pour un match (au Stade olympique), je m’arrangeais toujours pour être dans la première rangée de la section pour pouvoir mettre sur la vitre (de plexiglas) devant des affiches que je faisais à la main. Cette fois-là, j’ai écrit un message à l’intention de Hill, et je me suis assurée que ce soit écrit bien gros, je pense que j’ai acheté 10 cartons que j’avais collés ensemble… J’avais écrit quelque chose comme ‘Hill, va donc chez vous, laisse jouer Chris Chueden’. En lettres énormes. Ça devait être visible partout dans le stade! Hill était passé devant et il m’avait fait un petit signe, j’avais trouvé ça pas mal drôle! », a raconté Lépine en riant.
L’histoire du Manic de Montréal, au début des années 1980, ç’a notamment été une histoire d’amour entre les joueurs et les amateurs, qui sont vite devenus d’ardents partisans. Il y a eu les Ultras 212, évidemment, mais il y a également eu des personnes « ordinaires » qui ont découvert le soccer grâce à l’équipe qui évoluait dans l’ancienne NASL. Comme Brigitte Lépine.
« Je ne m’intéressais pas aux sports, mais quand mon frère aîné Jean-François est allé voir un des premiers matchs de l’équipe, en se disant enfin, un autre sport à suivre que le hockey, j’ai regardé le programme de la soirée qu’il avait ramené à la maison et j’avais trouvé ça pas mal intéressant, a indiqué Lépine. Jeune ado, je trouvais que les joueurs étaient pas mal ‘cutes’, et ils m’impressionnaient en raison de leur endurance physique sur le terrain, alors j’ai décidé d’aller voir des matchs et j’ai eu la piqûre. Je faisais la livraison de La Presse et pas mal tout mon argent était mis sur l’achat de billets. »
Lépine a commencé à aller à pratiquement tous les matchs et elle a même pris l’habitude d’aller aux entraînements, question de voir les joueurs du Manic de près à leur entrée dans le stade.
« À la longue, il y a des joueurs qui me reconnaissaient, a-t-elle indiqué. Une fois, j’ai même pu rentrer, j’avais demandé à Tony Towers si je pouvais aller voir la pratique et il m’a fait passer pour une amie. »
« Tony Towers était extraordinairement gentil, a ajouté Lépine. Il m’avait même accordé une entrevue pour le journal étudiant où j’écrivais. J’étais allée à une pratique au stade Percival-Molson, il m’avait attendue et fait rentrer. Je n’étais pas super bonne en anglais, mais il avait été très patient avec moi. »
Même si elle allait seule à la plupart des matchs, Lépine se sentait en communion avec le reste de la foule en raison de l’atmosphère qui régnait lors des rencontres disputées au Stade olympique.
« Je criais toute seule dans mon coin et je regardais les maniaques dans le fond avec leurs pétards et j’aurais donc aimé ça être avec eux, a affirmé Lépine. Mais dans ma tête de jeune ado, je faisais vraiment partie de cette équipe-là, j’avais l’impression d’être très importante comme fan. »
Quand le Manic a disparu, Lépine a « comme boudé » et lorsque l’Impact est arrivé, elle a suivi l’équipe de loin, sans plus. Elle avait maintenant des enfants dont elle devait s’occuper, et ceux-ci n’ont pas joué au soccer.
Mais le Manic, et aussi la Coupe du monde de 1982 – « Je connaissais tous les joueurs de toutes les équipes, j’en parlais tellement que je devais être insupportable! » – ont fait en sorte que Lépine a commencé à jouer au soccer. Et n’a jamais cessé de le faire, même une fois la NASL dissoute, même une fois devenue mère.
« J’ai appris à jouer au soccer en regardant le Manic, je suis allée dans une équipe de soccer au cégep grâce à eux, alors que je n’avais jamais joué de ma vie, je ne savais même pas les règlements quand j’ai commencé à jouer, a-t-elle raconté. J’ai beaucoup joué, avec mon équipe inter-collégiale, et ensuite pour le fun.
« Et ça, c’est grâce au Manic. »