Ses 25 ans d’histoire, l’Impact de Montréal les a bâtis à l’aide d’un pléiade de grands moments. Mais l’attachement au club, pour tous ceux et celles qui l’ont suivi de près ou au fil des ans, s’est quant à lui construit à coups de petits moments ici et là.
Voici les miens, mes petits moments, ou du moins quelques-uns d’entre eux, alors que j’ai eu la bonne fortune de vivre les 25 ans de l’Impact comme journaliste, comme membre du personnel des relations médias du club et, plus récemment, comme simple observateur… et chroniqueur de sa longue histoire qui, à défaut d’être toujours belle, n’a jamais cessé d’être captivante.
Tope-là, champion
Les premières fois représentent toujours quelque chose de spécial et puisque j’ai eu la chance de suivre l’Impact depuis ses débuts, le championnat de 1994 aura toujours un cachet plus spécial que les autres.
Je me rappelle plus ou moins du match de finale. Évidemment, il y a eu le but de Jean Harbor, la tension qui a suivi alors que l’équipe tentait tant bien que mal de protéger sa mince avance… Mais je me rappelle surtout des dernières minutes du match.
On avait invité les journalistes présents à descendre en bordure du terrain quelques minutes avant la fin. Les choses étant beaucoup plus détendues à l’époque, je me suis avancé un peu et je me suis retrouvé entre les abris des deux équipes, quelques pas en retrait. J’étais donc à quelques pieds de Valerio Gazzola, l’entraîneur du onze montréalais, qui ne tenait plus en place et qui donnait ses directions aux joueurs.
Le temps est relatif, disait Albert Einstein, et ça n’a jamais été aussi vrai dans ma vie qu’à ce moment-là, parce que les dernières secondes de ce match-là ont semblé durer une éternité.
Ayant couvert le soccer depuis 1986, ayant découvert en détail au fil des huit années suivantes toutes les épreuves et les aléas vécus par le soccer québécois, c’est à ce moment là que j’ai vraiment commencé à mesurer, pas juste rationnellement mais avec le cœur et les tripes, ce que représentait ce tout premier championnat de ligue de l’histoire remporté par une équipe professionnelle québécoise de soccer.
Autrement dit, je braillais comme une madeleine, ressentant l’immense privilège d’en être un témoin au premier degré.
Le sifflet final, enfin. Valerio se retourne en brandissant les poings de joie. La première chose qu’il voit, c’est moi. Il s’est retenu une fraction de seconde, je crois, sans doute surpris de me voir en larmes. Mais je lui tends la main, je vais être le premier à serrer la pince du premier entraîneur champion d’une équipe professionnelle québécoise! Il me tape la main de toutes ses forces.
Si jamais vous revoyez les images de RDS de cette finale de championnat de la saison 1994, portez attention à celle où Valerio se retourne en criant toute sa joie, puis tape une main sans corps à la droite de l’écran : c’est ma main à moi.
Ses moments de gloire, on ne les choisit pas vraiment, on les prend là où on peut. Celui-là, je ne sais pas trop pourquoi, j’en suis bien fier.
Le vrai Limo
Il fallu que l’Impact aille disputer un match de saison régulière à Ottawa pour que je ‘découvre’ John Limniatis, et ce qui faisait sa force comme défenseur/milieu défensif.
Au Complexe sportif Claude-Robillard, la galerie de presse se trouvait derrière la baie vitrée de la tribune ouest, ce qui veut dire qu’on était loin du terrain et coupé pas mal de l’atmosphère ambiante. Mais dans le petit stade d’Ottawa, qui avait plutôt l’allure d’un terrain d’équipe semi-pro, on était proche de l’action.
Même si je respectais déjà John comme joueur, sachant qu’il avait joué en Grèce et me fiant sur les témoignages d’autres personnes à son sujet, ce n’est qu’à Ottawa, depuis la petite cabane qui servait de cabine de presse en haut des gradins d’une dizaine de rangées à peine, que j’ai vu le vrai Limo. Et pu l’apprécier pour vrai.
C’est arrivé notamment quand il a amené tranquillement le ballon vers le milieu du terrain et, lorsqu’un opposant est venu à sa rencontre, il s’en est débarrassé d’un simple petit mouvement du corps. Le geste subtil a suffi pour que l’adversaire penche à gauche, ce qui a permis à John de s’avancer doucement de l’autre côté et d’y aller de sa passe sans entrave.
Un jeu qui aurait eu l’air tout à fait anodin à Robillard.
C’est à ce moment-là que j’ai vraiment compris la différence entre un joueur capable d’aller joueur en Europe… et les autres.
Merveilleux Mike Moretto
Quand on est dans l’entourage d’une équipe comme l’Impact, on a l’immense privilège d’apprendre à connaître les joueurs, mais aussi ceux et celles qui œuvrent en coulisses. C’est un privilège parce que c’est l’occasion de faire connaissance avec des gens d’exception. Les gens que j’ai apprécié au fil des ans sont bien sûr trop nombreux pour les nommer ici, alors je vais me contenter d’un : Mike Moretto. Le gérant d’équipement de la première époque de l’Impact.
Les anecdotes que je pourrais vous raconter à son sujet sont nombreuses. Mais l’essence de Mike Moretto – le gars fiable, intègre et loyal –, je la retrouve dans cette journée de finale de la Coupe de Montréal, en 2001. L’Impact avait remporté le tournoi international et après le match, c’était un peu la cohue dans le couloir menant au vestiaire du club montréalais au Complexe sportif Claude-Robillard. Le tournoi était géré par un comité organisateur qui n’avait rien à voir avec l’Impact, et qui avait embauché un imposant personnel de sécurité, habitué aux grands événements.
Mais pas habitué aux événements du foot local, ni à l’atmosphère plus familiale de l’Impact.
Quand la faune journalistique s’est avancée vers le vestiaire de l’Impact, elle s’est butée à des agents de sécurité – des mastodontes en t-shirts noirs – qui nous ont refusé l’accès. Nos laissez-passer médias, obtenus en bonne et due forme exprès pour le tournoi, n’étaient pas reconnus, seules les passes du staff à l’interne donnaient accès au vestiaire, nous ont dit les agents de sécurité.
Les mastodontes avaient des allures d’hommes qui ne reculeraient devant rien, pas même des Hells Angels, mais les journalistes étant des chialeux naturels, certains membres de la meute journalistique – Martin Smith et Randy Phillips en tête, si je me souviens bien, et moi pas loin derrière –, se sont mis à leur expliquer de façon ferme et convaincue que nous comprenions qu’ils avaient reçu des instructions strictes, mais que les dirigeants avaient fait une erreur, que c’était un oubli de leur part, que nous devions absolument avoir accès au vestiaire pour recueillir les commentaires d’après-match pour faire notre travail comme c’est le cas d’habitude…
Rien n’y fit. Les ordres sont les ordres.
La ‘discussion’ s’est poursuivie et peu à peu, le ton a monté, la patience et la retenue faisant progressivement place à la frustration. Et les minutes passaient…
Voilà Mike qui passe par là, en route vers le vestiaire. Je l’interpelle. Nous lui exposons notre problème.
Mike se tourne vers les agents de sécurité et leur dit que c’est correct de nous donner accès au vestiaire. Normalement, dans l’atmosphère relax du club, ç’aurait suffi pour nous ouvrir les portes. Mais là, c’était un tournoi, un tournoi qui en était à sa première édition, qui voulait faire les choses en grand, et il n’y avait pas moyen de parler à quelqu’un du tournoi pour régler le tout puisqu’ils étaient tous ailleurs, dans le jus, à ce moment-là. Et les matamores, eux, ne voulaient pas bouger. Ils comprenaient notre problème, mais… les ordres sont les ordres.
Le visage de Mike s’allume. « Je reviens tout de suite ».
Mike revient deux ou trois minutes plus tard, avec des laissez-passer ‘staff’.
« C’est correct, ça? », demande Mike aux agents de sécurité en leur montrant les passes.
C’est correct, ont-ils répondu. Les ordres sont les ordres ; ça prenait des passes ‘staff’ pour entrer, et ce sont des passes ‘staff’.
Mike distribue des passes ‘staff’ à Martin, Randy, moi et les autres représentants des médias.
Voilà un exemple parmi mille pourquoi, Mike et moi, c’est à la vie, à la mort.
Effet de toge
Une autre sur Mike, mais pour mieux passer au sujet suivant.
Quand Mike Moretto me croisait, il aimait bien m’apostropher en disant « Hé, Marc! Je me fous de ce que les autres disent, moi je trouve que t’es correct. » Ce qui me faisait sourire à tout coup.
L’autre genre d’accueil qui m’a marqué, c’est quand Mauro Biello, mais surtout Giuliano Oliviero – ces deux-là on notamment fait la pluie et le beau temps à l’offensive quand l’Impact jouait dans la NPSL – m’accueillaient avec un tonitruant « TOGA! TOGA! TOGA! »
Au début, je pensais juste que ‘Jules’ aimait la sonorité de mon nom – Tougas – et aimait le faire rouler dans sa bouche pour s’amuser, en déformant un peu la prononciation. Ce n’est que plus tard que j’ai su, après leur avoir posé la question, que ça venait du film « Animal House », de la scène où John Belushi et ses chums décident de d’organiser une fête où ils s’habilleront en toges romaines pour faire suer le directeur du collège.
J’ai alors mieux compris le but de la blague. Mais n’ayant jamais vu le film, je n’en appréciais pas encore toutes les « subtilités » à ce moment-là.
Et voilà pourquoi, plusieurs années plus tard, un dimanche après-midi pluvieux où il faisait de la zapette, un jeune homme d’un quartier du nord-ouest de Montréal est tombé sur un vieux film avec le regretté John Belushi et qu’il s’est mis à le regarder, même si c’était présenté sur une chaîne obscure avec narration pour les non-voyants (laissez-moi vous dire que c’est fatiguant en titi quand on est ‘voyant’ parce que le narrateur décrit alors tous les faits et gestes des comédiens, y compris leurs réactions faciales). Jusqu’à la fameuse scène du tonitruant « TOGA! TOGA! TOGA! »
Bref, merci Giuliano. C’est grâce à toi si Animal House ne manque plus à ma culture.
En arrière de mon temps
On est en 1998, je viens de commencer à travailler comme responsable des communications de l’Impact. Le gros de mon travail consiste à travailler avec les représentants des médias, mais comme on est peu d’employés – moins de 10 à l’époque –, il faut partager certaines tâches secondaires.
Dans mon cas, il arrivait qu’on me confie des requêtes de fans, qui voulaient avoir un calendrier de poche, un chandail autographié, etc. Il n’y avait pas de boutique officielle à l’époque, alors on répondait aux demandes à la pièce.
Je me souviens que parfois, des demandes du genre étaient acheminées par courriel, au courriel général du club, qu’on imprimait le message et le laissait sur mon bureau. Je me souviens qu’à l’époque, je trouvais que les courriels étaient une bien drôle de gogosse, que c’était une mode marginale, qui allait disparaître très bientôt comme les transmissions par modem très aléatoires de la fin des années 1980.
J’ai sûrement dû répondre à la plupart des requêtes quand même, malgré mes préjugés et mes réticences, mais pas en priorité. Reste que je pense que j’en ai ‘oublié’ quelques-unes ici et là.
À tous ceux et celles qui n’ont jamais eu de réponse de l’Impact quelque part en 1998, 1999 et 2000, je vous présente mes excuses.
La pression positive de Paul Kitson
On est encore en 1998, cette fois au tournoi de golf de l’équipe. Je fais partie d’un quatuor qui comprend l’entraîneur-chef de l’époque, Paul Kitson. Mon jeu sur les verts et sur les coups d’approche est pas mal, mais quand je frappe avec un bois, je suis poche, vraiment poche. Neuf fois sur 10, j’y vais d’un coup en rase-mottes qui roule sur une distance de 100 verges. Surtout lors du deuxième coup, quand je n’ai pas de té pour m’aider à faire lever la balle. Résultat, mon score au golf est en habituellement un dont je serais fier…. Si on jouait une partie de quilles.
Mais ça, Paul n’a pas encore eu la ‘chance’ de le découvrir. Le temps que je m’installe pour jouer mon deuxième coup du côté droit de l’allée, mes compagnons de jeu ont eu le temps de s’avancer un peu plus loin. Kitson s’arrête environ 75 verges plus loin, du même côté de l’allée que moi. Je lui dit que je ne suis pas trop sûr, que je crains de l’atteindre avec ma balle. Il me dit que je suis capable, d’y aller avec mon coup. Il ne bouge pas d’un pouce.
Inconscient du fait que j’étais poche, vraiment poche. Et moi, craintif qu’il en prenne conscience quand il sera inconscient, dans 10 secondes, après avoir reçu ma balle dans le front.
Je me mets en position. Je voyais déjà la manchette dans le Journal de Montréal du lendemain : « L’entraîneur de l’Impact incapable de terminer la saison après avoir été terrassé sur un terrain de golf – Paul Kitson a une prune dans le front grosse comme un ballon no 4 ». Pression!
Pression, mais jamais n’ai-je été aussi bien concentré pour frapper un coup. J’étais comme un pilote de brousse qui s’apprête à atterrir dans une clairière de la jungle durant une tempête tropicale.
Paf! Le coup est parti. Je suis la balle des yeux, je ne vois que du bleu autour. Le bleu du ciel! La balle a pris son envol, c’est en plein comme on le voit à la télé américaine le dimanche après-midi.
Le plus beau coup de bois-3 de ma carrière dans le golf! Heureusement pour les partisans de l’Impact…
Un nom qui a eu un impact
On est à l’automne 1992. Le téléphone sonne, c’est Stéphane Banfi, le responsable des relations médias de l’équipe. En fait, de ce qui allait devenir l’équipe. Il m’appelait, justement, pour s’assurer que j’étais au courant de la conférence de presse que le Groupe Saputo allait tenir au Château Vaudreuil pour annoncer la mise sur pied de la nouvelle équipe qui allait commencer à jouer dans l’APSL en 1993.
Le sujet du nom de l’équipe, qui allait faire partie des annonces, est venu sur le tapis durant notre conversation. Sans chercher à avoir le scoop, je lui ai demandé ce qu’il pensait, lui, du nom qui avait été choisi, curieux de savoir dans quelle registre on s’en allait. Après tout, ce n’est jamais évident à Montréal, alors qu’il faut que le nom soit quasi inévitablement bilingue, ou du moins facile à reconnaître et à prononcer dans les deux langues.
« Je n’étais pas sûr au début, mais plus le temps passe, plus je trouve que ça sonne bien », m’avait grosso modo répondu Stéphane.
Et c’est pas mal la réaction que j’ai eue lors de l’annonce du nom à Vaudreuil. Impact? Hein? Euh, pas sûr…
Après tout, ça détonnait avec tout ce qu’on avait entendu et utilisé auparavant dans l’histoire du sport professionnel, autant en Amérique du Nord qu’en Europe.
Mais avec le temps, on s’y est habitué. Et on s’est mis à l’aimer, ce nom-là. Au point où on se dit aujourd’hui que finalement, c’est comme si c’était écrit dans le ciel que ça allait être ça, le nom, et que jamais on n’oserait imaginer notre équipe avec un autre que celui-là.
Bonne fin de 25e, tout le monde. Je vous – nous – souhaite un deuxième quart de siècle encore meilleur.