La saison 1994 de l’Impact s’est terminée en apothéose puisque c’est cette année-là que le club montréalais a remporté le premier championnat de son histoire. Mais ç’a failli virer à la catastrophe.
Car c’est de cette façon que la saison a commencé. En catastrophe.
On a tendance à l’oublier parce que l’année a bien fini, mais c’est effectivement en catastrophe que Valerio Gazzola s’était retrouvé au poste d’entraîneur-chef, tout juste avant le début de la saison.
Et quand on dit tout juste, c’est vraiment tout juste. Car c’est quelques jours à peine avant le début du calendrier régulier, à la suite du camp d’entraînement et de matchs préparatoires disputés contre des équipes nationales étrangères qui s’en venaient disputer la Coupe du monde aux États-Unis, que Gazzola s’est vu offrir le poste. Parce qu’Eddie Firmani, celui qui avait dirigé l’Impact à sa première année d’existence, en 1993, et devait en théorie poursuivre cette année-là, a soudainement décidé de quitter.
Gazzola, qui avait d’abord été embauché par Firmani pour diriger l’équipe B de l’Impact durant la saison morte, puis s’était vu confier le poste d’entraîneur adjoint, devenait donc le chef. À 30 ans.
« Eddie a démissionné trois jours avant le premier match. Je l’ai appris en même temps que tout le monde (dans l’équipe), a expliqué Gazzola à Rétrosoccer. Joey (Saputo, le président du club) est venu me voir avec Pino Asaro (le directeur général) et ils m’ont dit que j’allais prendre l’équipe. »
Gazzola, qui avait été l’adjoint de Robert Vosmaer avec le FC Supra en 1992, avait l’ambition de devenir entraîneur-chef dans les rangs professionnels et il a évidemment accepté. Même si cette première opportunité s’est présentée de façon un peu précipitée.
« Soyons honnête, j’aurais préféré faire quelques années comme adjoint et ensuite devenir entraîneur-chef, a-t-il souligné. Mais quand on te donne une chance comme celle-là, tu la saisis. Tu le prends comme un bon défi et tu fais du mieux que tu peux. »
Gazzola n’a pas hésité à accepter parce qu’il ne se sentait nullement intimidé par le fait de se retrouver au volant de l’Impact, d’autant plus qu’il avait eu quelques mois pour se familiariser avec le contexte du club.
« J’ai dirigé des entraînements pendant l’hiver – j’avais presque tous les joueurs de la première équipe avec moi même si j’étais, en théorie, l’entraîneur de la deuxième équipe à ce moment-là… Et il y a eu les matchs hors-concours contre les sélections nationales », a-t-il fait remarquer.
« Ça n’a pas changé beaucoup de choses, a-t-il dit du fait de passer du rôle d’adjoint à celui d’entraîneur-chef. Parce que j’étais toujours dans le même environnement avec les mêmes joueurs, le même personnel. Et le premier message que j’ai livré à tout le monde, c’est que je n’allais absolument rien changer. Parce que tout ce qu’on faisait, c’était exactement ce qu’on voulait faire. »
C’était d’autant plus vrai que Firmani, comme nous l’a déjà raconté le regretté Pierre Mindru, agissait comme un manager à l’européenne. Autrement dit, il déléguait les tâches quotidiennes à ses adjoints. Ce qui veut dire que Gazzola, d’une certaine façon, avait déjà pas mal les rênes en mains. La seule différence, c’était l’identité de la personne qui prenait les décisions finales.
Ça ne changeait pas grand-chose aux yeux de Gazzola, mais ce n’est pas nécessairement comme ça que l’ont vécu les joueurs, par contre.
Certes, l’Impact comptait un bon nombre de jeunes joueurs locaux, qui connaissaient déjà Gazzola pour la plupart. C’était le cas des défenseurs Patrick Diotte et John Limniatis, qui l’avaient notamment eu comme coéquipier avec les Lavallois de Laval dans la LNSQ, au milieu des années 1980.
Mais c’était une autre paire de manches pour les vétérans venus de l’extérieur. Des joueurs comme Jean Harbour, Enzo Concina, Patrice Ferri, Nick Dasovic. Alors qu’ils se préparaient à jouer sous les ordres d’un entraîneur de renommée internationale, qui avait notamment dirigé le Manic de Montréal et des stars comme Pelé et Franz Beckenbauer au Cosmos de New York, voilà qu’ils se retrouvaient à devoir obéir à un jeune kid de Laval…
« C’est vrai que les deux ou trois premières semaines de la saison ont été un peu ‘rough’ », a convenu Gazzola.
« Ç’a pris trois à quatre semaines avant d’établir un fonctionnement où eux me connaissaient, et où moi je les connaissais un peu plus », a indiqué Gazzola, qui s’était par ailleurs assuré d’avoir un homme d’expérience à ses côtés en demandant à Francis Millien d’être son adjoint.
Ce qui ne veut pas dire ce que ç’a été sans heurt par la suite, comme l’a raconté Daniel Courtois, gardien de but réserviste de l’Impact cette année-là.
« C’était pendant la demi-finale des séries contre Los Angeles et Enzo Concina ne jouait pas. Il parlait contre Valerio, assez fort pour que les autres qui étaient sur le banc l’entendent, a expliqué Courtois. Je suis allé le voir et je lui ai dit que ce n’était pas le moment, que s’il avait quelque chose à dire à Valerio, qu’il le fasse après le match, dans son bureau, à portes closes. Sinon, s’il tenait vraiment à dire des choses maintenant, je ne me gênerais pas pour lui en dire aussi, des choses. »
Au bout du compte, ç’a bien fini parce que Concina a disputé la finale contre le Colorado à Montréal et il a très bien joué, a souligné Courtois. Gazzola avait d’ailleurs du Scotty Bowman dans le nez, selon lui.
« Avec Val, tout le monde était égal, il n’y avait pas de favoritisme », a indiqué Courtois en faisant le parallèle avec l’ex-pilote des Canadiens de Montréal, qu’on disait intransigeant. « Il prenait des décisions en fonction de la façon dont il voyait et jugeait les choses, dans le but de tirer le maximum de chacun. Il savait qui avait besoin de la carotte et qui avait besoin du bâton. »
En côtoyant Firmani ici et là au fil des ans, notamment lorsqu’il a dirigé le FC Supra, j’ai constaté que The One and Only était du genre à donner beaucoup de liberté à ses joueurs. Même s’il dirigeait une jeune équipe au FC Supra, il disait souvent des choses comme « ce sont des professionnels, ils savent quoi faire ».
Gazzola, lui, était tout le contraire.
« Tout ce qu’il pouvait le contrôler, il le contrôlait, dans les moindres détails », a souligné Courtois.
On peut donc imaginer à quel point ç’a pu en prendre certains à rebrousse-poil quand le passage de Firmani à Gazzola s’est fait de façon aussi soudaine et inattendue.
Mais ç’a quand même donné de bons résultats, et pas seulement dans les séries, puisque l’Impact a terminé la saison avec une fiche positive de 12-8, bon pour le troisième rang, après que le club eut fini au dernier rang sous les ordres de Firmani l’année précédente.
« On avait une fiche de 11-3 avant de connaître une série de cinq défaites, puis de remporter le dernier match de la saison (régulière), a fait remarquer Gazzola. Mais ç’a été une saison remarquable. Je me souviens que même dans des matchs que nous avons perdu, nous avions tendance à dominer, sauf qu’on subissait la défaite en raison d’un but un peu stupide… C’est pourquoi les gars étaient confiants au moment d’amorcer les séries. »
Au bout du compte, une démission qui aurait pu faire basculer l’Impact dans l’abîme a pris, avec le recul, une dimension qui fait croire que c’était le destin qui le voulait ainsi.