La nuit est toujours à son plus sombre avant l’aube. Ce dicton à qui l’Anglais Thomas Fuller a donné naissance au 17e siècle s’applique parfaitement à l’Impact et à l’évolution du club au cours de ses 25 années d’existence.
Car c’est en 2001, année où l’Impact a fermé ses portes en pleine saison – pire moment dans l’histoire de l’organisation, gracieuseté de la gestion digne de « clowns » du Groupe financier Ionian, comme l’avait dit Mauro Biello à l’époque – que le onze montréalais a vraiment été relancé pour de bon.
Après avoir vu Joey Saputo diriger le club sous différentes formes administratives, qui ont donné lieu à un aussi grand nombre de moments de tâtonnement que d’épisodes d’évolution, celui-ci a cédé le club à Ionian. Mais en même temps, c’est le retour de ce même Saputo, au nom de la A-League pour clore la saison 2001, puis en son nom avec l’aide du gouvernement du Québec, Saputo, Hydro Québec et Bell à partir de la saison 2002, qui a ensuite permis de remettre l’Impact sur les rails pour de bon.
À partir de 2002, le onze montréalais n’a effectivement fait qu’avancer et progresser – foules qui débordent sur le gazon au Complexe sportif Claude-Robillard, ouverture du stade Saputo, soirées magiques au Stade olympique en Ligue des champions de la CONCACAF, entrée en MLS… Malgré les soubresauts et les crises qui, somme toute, demeuraient relativement secondaires quand on regarde le portrait d’ensemble, l’Impact est alors devenu un navire qui avançait résolument. Désormais, Joey Saputo savait comment il allait cheminer. Les interrogations et le doute, c’était fini, ça.
« Regardez-moi faire », avait répondu JS quand on lui avait demandé en décembre 2001, lors de la relance officielle qui assurait l’avenir du club pour les cinq années suivantes, en quoi ce nouveau départ serait différent des (nombreux) autres qui avaient précédé. J’avais alors noté, dans un billet pour La Presse, « avec, dans les yeux, le calme et l’assurance d’un gars qui a compris ».
Le temps aura prouvé que ce n’était pas là de la fausse bravade de sa part.
Au fil de mes chroniques Rétrosoccer, ces prochains mois et ces prochaines années, je compte bien revenir en détails sur cette saison 2001, qui compte plusieurs moments forts, à l’aide des témoignages des joueurs et des autres intervenants qui étaient là à l’époque. Mais permettez-moi de commencer ici par mes propres souvenirs et impressions. Car j’ai eu le privilège de suivre les mésaventures du club, cette année-là, en tant que journaliste pour le magazine Québec Soccer, pour La Presse Canadienne (j’en étais à ma première année) et même pour La Presse, en collaboration spéciale.
D’ailleurs, j’ai encore les coupures de presse des articles que j’ai rédigés à l’époque. Textes qui restent fort savoureux à relire.
Premier flash qui m’est resté et le restera sans doute toujours : la présentation officielle du club.
Ça se passait au Forum Pepsi, lieu de l’ancien Forum de Montréal, devant à peine une centaine de personnes. Pendant la présentation des joueurs, l’annonceur lit le texte qu’on lui avait fourni au sujet de Grégory Campi, un joueur franco-monégasque qui venait de s’aligner avec le club de Bari et que l’Impact avait nouvellement embauché : « Si vous ne le connaissez pas, c’est que vous ne regardez pas la télé. »
Me sentant un peu niaiseux puisque je n’en avais jamais entendu parler, j’ai vérifié auprès de plusieurs intervenants chevronnés du soccer québécois, question de savoir s’ils connaissaient Campi. Conclusion, comme je l’avais écrit dans ma chronique du mois de juin 2001 dans Québec Soccer : « 100 % des gens du milieu du soccer québécois ne regardent pas la télé ».
Mais c’est surtout ce qui a suivi en privé, ce jour-là, qui m’a fait tiquer.
Après la présentation, je me retrouve dans la salle où les joueurs de l’Impact se changent, en compagnie du photographe Tony Triconi, afin de prendre les photos de tête des membres de l’équipe en vue du numéro spécial de début de saison de Québec Soccer. Strato Gavriil, le président de l’Impact, fait son entrée. Tony l’invite à se placer devant le mur pour une photo, le président sourit, le flash de la caméra retentit, puis… le visage de Gavriil s’assombrit aussitôt.
« Vous avez joué comme des pourris, lance-t-il aux joueurs, devant Tony et moi. Valerio (Gazzola, l’entraîneur) a dû vous donner de la merde, parce que moi, je lui en ai certainement donné. »
Suivent d’autres paroles du même ordre.
«This ain’t the Saputos anymore. Je ne le vous dirai pas seulement à la fin de l’année, je vous le dis maintenant : avec le bon argent que je vous donne, je veux gagner, et je veux gagner tout de suite. La défaite est inacceptable. »
Le ton est sec, méprisant même.
Notons ici que la plupart des joueurs rencontrent leur président pour la première fois.
Et aussi, que la fiche de l’équipe à ce moment-là est de… 0-2. Après deux matchs à l’étranger.
Moi qui avais suivi l’aventure de l’Impact depuis 1993, le plus souvent comme observateur de l’extérieur, je l’ai pris personnel. Je n’ose imaginer ce que les proches de longue date de Joey Saputo, comme Nick De Santis, Mauro Biello et Nevio Pizzolitto, ont dû ressentir !
La remarque sur Campi et la télé, je l’avais abordée dans le numéro suivant de QS. Mais ça, ‘c’est pu les Saputo icitte’, je n’en avais pas parlé sur le coup. Sauf que j’en avait pris note. Bonne note. Au cas où ça deviendrait pertinent un de ces jours.
Et, oh boy, que c’est devenu pertinent!
Jeudi prochain, en deuxième partie : le coup de téléphone; le scoop de la mise en faillite de l’Impact; ‘Save our Soccer’ à Pittsburgh; nuit sulfureuse à Dorval; le retour triomphal de Joey Saputo.