Lorsqu’on lui a raconté l’anecdote qui nous a déjà été relatée par Sylvie Béliveau, à l’effet que les joueuses des premières éditions de la sélection canadienne féminine devaient emprunter les maillots que les gars utilisaient avec la sélection nationale masculine… et ensuite les redonner, la réaction d’Annie Caron a été instantanée.
« Pauvre Sylvie… Je pense qu’elle a souffert en silence », a lancé Caron, une des joueuses de la première heure de la sélection féminine en 1986, en parlant de Béliveau, qui a été l’adjointe de Neil Turnbull avec l’équipe nationale à ses débuts avant d’en devenir l’entraîneure en chef en 1991. « À un moment donné, j’ai su que pendant que nous les joueuses, on dormait, elle était dans sa chambre (d’hôtel) à imprimer les noms des joueuses sur les chandails. Je pense qu’elle a même fait ça en Suède, avant la Coupe du monde (de 1995)… »
Mais bon, personne n’allait se plaindre. Parce qu’à l’époque, Béliveau et les joueuses étaient en mission. Et cette mission, c’était de s’assurer que le soccer féminin survive au plus haut niveau.
« Au tout début, quand l’équipe canadienne est allée en Chine (pour un tournoi sur invitation à 12 équipes en 1989 qui servait de Coupe du monde test), on nous avait dit que c’était bien important de performer pour le futur du soccer féminin, raconte Caron. Sinon, il y avait des chances que ça ne revienne pas… »
Pas de pression, les filles!
« La plupart d’entre nous, on a accepté cette responsabilité-là, ajoute Caron. Dans mon cas, je sais que plus je montais les échelons, plus j’en voulais. »
Par leurs propres moyens
Il fallait tellement vouloir, en fait, qu’il fallait trouver la volonté de s’entraîner seule afin d’arriver suffisamment en forme aux camps d’entraînement de l’équipe nationale. Disons que l’encadrement était plus rudimentaire à l’époque…
« La plupart du temps, on était dans notre club, au cégep ou à l’université. Mais il fallait quand même rester active à l’année, indique Caron. L’équipe nationale nous envoyait les programmes d’entraînement à suivre. À chaque mois, par exemple, on avait des tableaux à remplir avec nos résultats. C’était quand même assez détaillé.
« On se fiait à chaque joueuse pour qu’elle suive le programme. Celles qui avaient déjà participé à un camp d’entraînement de l’équipe nationale ne se faisaient pas prendre (à négliger l’entraînement à la maison) parce qu’elles savaient que dès la première journée du camp, c’étaient les évaluations physiques. Et si tu n’avais pas fait ton entraînement chez toi, c’est sûr que tu faisais ta valise tout de suite ! »
« Dans ce temps-là, ce n’était pas l’Association canadienne qui nous pointait vers des médecins, indique Caron. On se servait de notre réseau de connaissances à nous. Au moment où j’ai subi une grave blessure au genou, c’est le médecin de l’équipe d’aviron du Canada qui m’avait soignée. Et si j’ai pu être suivie par des physiothérapeutes, c’est parce que j’en ai connu d’excellents par l’entremise de l’université (Concordia). »
Vers un meilleur encadrement
Le contexte s’est quand même amélioré assez rapidement pour l’équipe nationale.
« Ce qui nous a d’abord permis d’avoir plus de soutien, c’est la mise sur pied du Centre national de haute performance à Montréal, indique Caron. C’est Sylvie Béliveau qui avait commencé ça (en devenant directrice du CNHP en 1989) et ça nous a permis, les quelques filles du Québec qui faisaient partie du programme national, de nous entraîner avec les hommes. Ça été d’une aide immense parce que là, on pouvait s’entraîner à un niveau un petit peu plus élevé, profiter de la rapidité des hommes, leur force, leur technique… On a d’ailleurs été bien accueillies par les gars, dans le temps il y avait des joueurs comme Mauro Biello, Daniel Courtois… Valerio Gazzola était entraîneur.
« On a également commencé à avoir un soutien en terme de nutrition, de psychologie, tout ce qui était en dehors du terrain, ajoute Caron. On devenait des athlètes, là, finalement. »
Après avoir raté la Coupe du monde de 1991, le premier tournoi officiel du genre pour les femmes, parce qu’une seule équipe de la CONCACAF y était admise – place qui a été décrochée par les États-Unis –, l’équipe canadienne féminine a vu son programme prendre du coffre quand on a décidé d’attribuer une deuxième place à notre confédération en vue du Mondial féminin de 1995. La porte était grande ouverte pour le Canada et la sélection féminine a effectivement participé à la phase finale en Suède cette année-là.
À cette Coupe du monde suédoise, le Canada a décroché une nulle en trois matchs et terminé troisième de son groupe sans se qualifier pour la phase éliminatoire, mais l’histoire de la sélection canadienne féminine à l’échelle mondiale était alors lancée pour de bon.
Sauf que c’est alors que la carrière d’internationale de Caron s’est arrêtée. Peu de temps à son retour au pays, elle a dû quitter son emploi à la compagnie de télécommunications Ericsson parce que son conjoint a obtenu un contrat en Italie. Caron a vécu là-bas pendant une vingtaine d’années, avant de revenir vivre au Québec il y a deux ans.
Ce qui ne l’a pas empêchée de voir le soccer féminin d’ici faire de grands bonds, et les joueuses actuelles de la sélection canadienne profiter d’un encadrement et d’une popularité que la première génération, celle dont Caron faisait partie, ne pouvait qu’espérer.
« Je suis tellement contente pour (les joueuses d’aujourd’hui), dit celle qui a été élue au Temple de la renommée du soccer québécois en 2006. Ça me fait chaud au coeur de voir ces filles-là vivre ce qu’elles méritent de vivre. »