CM86 : Quand la FIFA s’est servie du Canada comme faire-valoir

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C’est à titre de pays-hôte, et non d’équipe qualifiée, que le Canada aurait pu participer à la Coupe du monde de 1986, puisqu’il a présenté sa candidature pour l’organiser. Mais les dés étaient pipés.

Après s’être déclaré candidat pour la Coupe du monde de 1990, le Canada s’est mis à convoiter le Mondial de 1986 à la suite du désistement en 1982 de la Colombie en tant que pays organisateur, comme on l’explique dans le livre Histoire du soccer québécois(*). Joao Havelange, le président de la FIFA à l’époque, avait toutefois déjà décidé (par népotisme, nous a-t-on raconté en privé par le passé) que la CM irait au Mexique.

Ce n’est que plus tard, toutefois, que les manigances de Havelange allaient être révélées au grand jour.

« Aujourd’hui, comme tout le monde sait, Havelange a dû démissionner de la FIFA et du Comité international olympique avant d’être expulsé. Tout le monde sait qu’il s’est mis de l’argent dans les poches, tandis que la conduite de (Sepp) Blatter n’était pas beaucoup plus propre non plus… On peut dire comment les choses se sont passées », a raconté Georges Schwartz à Rétrosoccer, lui qui a d’abord été coordonnateur de la candidature canadienne, poste qu’il a ensuite cédé à Walter Sieber afin de devenir président du comité de candidature.

En bref, on peut dire que le processus de candidatures dans son ensemble n’était qu’un écran de fumée. Et ce, même s’il impliquait aussi les États-Unis.

« La façon dont Havelange a apprêté ça, c’est qu’il y a eu une commission qui a été envoyée pour évaluer ces candidatures, mais cette commission est uniquement allée au Mexique. Elle n’est pas venue chez nous parce qu’on nous a reproché, avec nos neuf villes candidates, de ne pas répondre aux critères qui demandaient 12 stades », a expliqué Schwartz.

Pourtant, Schwartz s’était fait dire qu’il ne fallait pas se préoccuper de cette exigence de 12 stades.

« Ces 12 stades, on en avait discuté avec Blatter, qui nous avait dit que c’étaient les conditions qui avait été posées à la Colombie pour lui permettre de se retirer sans être ridicule, a souligné Schwartz. Avec Sieber, on est parti en voyage rapidement pour aller rejoindre Havelange. On lui a expliqué qu’on avait ce qu’il fallait, qu’on pouvait mettre 12 stades (dans le cahier des charges). Et si vous en voulez 14, on peut en mettre 14. »

Havelange a consenti à envoyer deux dirigeants de la FIFA au Canada, dont Blatter. Ceux-ci ont donné une conférence de presse, mais ont refusé de visiter quelque installation que ce soit. Schwartz a quand même réussi à faire dire à Blatter qu’il allait y avoir un vote en bonne et due forme du comité exécutif de la FIFA.

« Ils ont été obligés d’admettre que oui, à Stockholm, où il y aurait présentation des candidatures, a raconté Schwartz. Les médias ont accepté ma position et la FIFA ne pouvait pas dire le contraire. Le comité exécutif se réunirait donc le 20 mai 1983 à Stockholm et prendrait la décision. »

Présentations à Stockholm
Le Mexique, le Canada et les États-Unis ont donc été invités à présenter leur candidature respective devant le comité exécutif de la FIFA. C’est là que Schwartz a découvert que c’était peine perdue.

« Le comité exécutif s’est réuni et Havelange a alors fait accepter le rapport de la commission d’évaluation qui s’était rendue au Mexique, a raconté Schwartz. Les membres du CE attendaient avec impatience nos présentations et ils ont accepté le rapport du comité d’évaluation, reconnaissant que le Mexique avait ce qu’il faut (pour organiser la Coupe du monde). »

Ont suivi les présentations. Le Canada a parlé en premier.

« Entre-temps, j’avais appris que les choses allaient plutôt mal pour nous. Mais j’avais eu en mains le rapport des Mexicains, a indiqué Schwartz. Je me suis rendu compte que oui, (les Mexicains) présentaient 13 stades. Mais sur les 13 stades, trois n’étaient pas terminés, et un était pratiquement à l’état de terrain vague. Donc, en principe, ils n’avaient pas les 12 stades demandés. »

Dernier à parler pour le Canada, Schwartz a expliqué tout ça au CE.

« J’ai souligné le fait qu’on ne pouvait pas dire que le Mexique était prêt. J’ai vu le délégué mexicain membre du CE sursauter, j’ai vu que Havelange n’était pas content… »

Une sortie en furie
Après les présentations du Mexique et des États-Unis, le CE s’est réuni derrière portes closes.

« D’un seul coup, la porte s’est ouverte. Un de ceux qui m’avait absolument promis qu’il voterait pour nous, le délégué hongrois, est sorti furieux de la salle, a raconté Schwartz. J’ai réalisé que les choses allaient très mal. Par la suite, ils ont tous quitté la salle et Havelange a annoncé en conférence de presse que tout le monde avait voté pour le Mexique. Aucune abstention…»

Un autre membre du CE a alors dit à Schwartz ce qui s’était passé.

« Havelange a dit : ‘Il n’y aura pas de vote’. On lui a demandé pourquoi. ‘Il n’y aura pas de vote parce que vous avez accepté le rapport de la commission d’évaluation qui est allée au Mexique, et vous l’avez accepté (le rapport) unanimement’, a répondu Havelange. C’est pour ça qu’il a pu déclarer en conférence de presse que c’était un vote unanime. Voilà son tour de passe-passe : il a fait accepter le rapport de la commission et c’était ça, la décision du CE », a indiqué Schwartz.

La ‘décision’ étant que puisque le Mexique était outillé à accueillir la CM… il allait donc organiser la CM de 1986.

En deuxième partie de ce reportage, à paraître le 18 janvier : Pourquoi la candidature canadienne en a valu la peine malgré tout.

* Histoire du soccer québécois, par Georges Schwartz et Jacques Gagnon. Publié par Les Promotions Socbec. Candidature d’avant-garde au Mondial 1986 pp. 14-18.